domingo, 5 de agosto de 2018

Le rosé autrefois méprisé est aujourd’hui adulé

Comment expliquer le déferlement des vins rosés sur la planète?



Écrit par Nicolas de Rabaudy 

Au Château Roubine, cru classé de Provence à Lorgues, la propriétaire Valérie Rousselle a produit 500.000 bouteilles de La vie en rose en 2017 contre 20.000 en 2014. Elle vient d’acquérir les vignes toutes proches du Château Béatrice, cinquante hectares répondant à un véritable emballement du marché: les expéditions aux États-Unis ont progressé de 50% en trois ans. Désormais, son vignoble s’étend sur 200 hectares en production. 

Le monde entier boit du rosé, un vin nié, méprisé, à peine bon en 1990 pour les campeurs du Midi de la France et le barbecue aux chipolatas. Le vin tapait sur le crâne, une «piquette-casquette» impossible à vendre dans les provinces et les pays sans soleil. 

Bouteilles de La vie en rose. | Château Roubine


Voilà qu’a surgi dans les années 2000-2015 un engouement imprévu, une sorte de révolution radicale dans le monde des buveuses et buveurs séduits par la couleur rose pâle, la buvabilité facile initiée en Provence de ce vin tous publics. Du plaisir décomplexé en toute saison, même l’hiver à l’apéritif, de la fraîcheur, de la féminité et du partage sans prétention œnologique: c’est la soif qui prime le savoir. 

Précurseurs des vendanges nocturnes 

À l’apéritif, personne ne refuse un verre de rosé, surtout s’il provient de la Provence de Jean Giono et de Marcel Pagnol. La robe de ces vins est si attirante, même très pâle, qu’elle provoque le désir en réduisant les commentaires œnologiques à quelques réflexions basiques: le rosé a une vie courte, deux ans, ce n’est pas du rouge provençal qui s’affine en barriques comme la cuvée Lion et Dragon produite à Roubine –un vin de gastronomie en pleine renaissance car dans le Midi, les rouges séveux ont accompli d’énormes progrès. 

Née à Saint-Tropez, passée par la fameuse École Hôtelière de Lausanne, ex-cadre supérieure du Groupe Barrière à Deauville, Valérie Rousselle est une Provençale dans l’âme. Les racines de son vignoble plongent dans le terroir romain de Lorgues et de l’Ordre des Templiers, propriétaire du Château Roubine jusqu’au XIVe siècle. C’est un cru noble chargé d’histoire française. 

Valérie Rousselle. | Château Roubine 

Tout cela, la jeune femme va le découvrir en 1994 quand elle tombe amoureuse du site viticole, un splendide arc de cercle planté de quatre-vingt-dix hectares et de treize cépages. C’est l’un des magnifiques terroirs de la Provence verte qui sera admis dans les dix-huit crus classés de Provence, l’élite reconnue des vins d’ici. 

Entre-temps, la nouvelle propriétaire, une bosseuse pleine d’énergie, a obtenu le Certificat de Viticulture et d’Œnologie de l’Université du Vin de Suze-la-Rousse: un excellent passeport pour la science du vin. Car si les blancs et les rosés se boivent facilement, il s’agit de redonner tout son lustre à Roubine, d’investir en équipements de pointe, et de s’entourer de cadres et techniciennes ou techniciens de talent, bons connaisseurs des secrets des parcelles, des cépages et de la climatologie (les rigueurs de l’hiver sous la neige et les chaleurs lourdes de l’été, jusqu’à quarante degrés et plus: une amplitude de température qu’il est nécessaire de gérer au mieux). 

Le Château Roubine à Lorgues (Var). | Château Roubine 

Il faudra un quart de siècle à Valérie Rousselle pour maîtriser la conduite de la vigne, identifier les cépages (le tibouren difficile mais sublime) et produire des rosés modernes de sensualité et d’élégance: ce sera la révolution technologique de ce vin de Provence (2.500 ans), leader mondial dans son style. Le rosé est né en Provence et pas en Anjou ou dans le Languedoc, sa légitimité historique est indéniable. 

Cave. | Château Roubine

Quand elle refait le parcours accompli depuis 1995, Valérie identifie d’abord un professionnel de la vigne, Jean-Louis Francone, spécialiste des vins du Rhône, sudiste cultivé et ouvert. Ce fut la première tête pensante de Roubine, l’observateur du climat quotidien et de la conduite des cépages, l’interlocuteur privilégié de la propriétaire qui écoute les points de vue de ses trois cadres: choisir le meilleur de ce que le millésime offre, prendre des risques et avoir de l’audace. Le rosé est un vin d’une étonnante complexité. 

Ainsi Jean-Louis Francone, râblé et l’œil pétillant, se soucie en priorité du cépage miraculeux: le tibouren déjà cité (90% de la belle cuvée InSpire) qui est vendangé de nuit en pleine maturité, associé à un autre cépage. 

Bouteilles de la cuvée InSpire. 
Château Roubine

En cela, Valérie Rousselle et ses cadres ont été, en 1995, parmi les précurseurs des vendanges nocturnes de 21h à 7h du matin, une exigence absolue. En août, par quarante degrés, l’aridité des sols est l’ennemie de la vendange saine. De nuit, on ramasse de quatre à dix-sept degrés en septembre, on perd plus de vingt degrés: la fraîcheur migre dans les baies, la naissance du rosé moderne c’est ici et maintenant. 

Vers une reconversion en biodynamie 

La révolution qualitative du rosé de Provence est accentuée par la température de la récolte qui est décisive. Certes, il y a de la pénibilité à se démener auprès des machines et des tracteurs dans les nuits fraîches, mais le jeu en vaut la chandelle. C’est pourquoi Valérie Rousselle peut vendre son rosé délicat, aromatique, croquant dans quarante-cinq pays (trente-cinq acheteurs sur le globe) et exporter ses palettes par dizaines en Grande-Bretagne (dix livres la bouteille du négoce maison), en Russie par containers entiers –le rosé était inconnu en 2010 au pays de Tolstoï et de Noureev, et dans les stations de ski des Alpes. Il part très bien après la descente des pentes immaculées. De même au Vietnam, ce qui est incroyable, et en Scandinavie. Bref, sur les cinq continents. 

Tonneaux. | Château Roubine

À Roubine, encouragée par l’explosion des ventes, Valérie Rousselle et son chef de culture au palais affûté entendent bien tenter une magistrale reconversion en biodynamie afin d’accentuer la finesse, la pureté des flacons de garde au-delà de deux ans. La pâleur des vins, pelure d’oignon, c’est une mode actuelle (Pétale de Rose de Régine Sumeire) qui n’implique en rien la diminution de l’alcool –ce n’est pas de l’eau colorée, ah non. 


La demande de rosés aux quatre coins du globe est telle que l’on voit apparaître des marques provençales haut de gamme, le dessus du panier. Ainsi Sacha Lichine, dont le père grand historien et négociant francophile fut le propriétaire du Château Lichine à Margaux, a lancé en 2015 la Cuvée Garrus au prix d’un cru classé de Bordeaux. On le trouve à la carte du Petit Nice, le trois étoiles de Marseille, à 245 euros: c’est un rosé de luxe. Ce prix jamais vu en restauration est lié à la demande et, disons-le, au snobisme de certaines et certains buveurs d’étiquettes: une once d’épate bourgeoise.

Cru classé Premium rouge, rosé et blanc. | Château Roubine

Cela dit, en juin dernier a eu lieu la Journée Internationale du Rosé initiée par Valérie Rousselle et Fabienne Joly, présidente du Centre mondial du Rosé. Désormais, un événement international aux couleurs du rosé se produira chaque quatrième vendredi de juin. 

L’air de la Provence, le style des vins si aimables et des dégustations approfondies présideront à des festivités commencées à Saint-Tropez, poursuivies à Monaco, à Paris, à Miami, à Rio de Janeiro, à Moscou et Hong Kong… 

Ce vin festif, des restaurateurs et restauratrices et des cavistes vont le faire redécouvrir aux amateurs et amatrices qui cherchent le meilleur. Le rosé est devenu mondial comme l’est le champagne des rois, des bourgeois et du peuple. 


Château Roubine
Côtes de Provence. 4216 route de Draguignan 83510 Lorgues. Tél.: 04 94 85 94 94. Vente des vins à la boutique du Château Cru Classé et expéditions. Cuvée InSpire, Cru Classé rosé 2017 à 25 euros. Cuvée Lion et Dragon, Cru Classé rosé 2017 à 17 euros. Cuvée La Vie en rose, rosé 2017 à 12 euros.



[Source : www.slate.fr]

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