quinta-feira, 31 de maio de 2018

Philip Roth, le cinéma, les femmes et moi

Ce professeur de désir a, notamment, inspiré de nombreux réalisateurs

Penelope Cruz et Ben Kingsley dans "Lovers" ("Elegy" en VO) de Isabel Coixet,
inspiré de "La Bête qui meurt" de Philip Roth. SIPA. 00599898_000003

Publié par Jean Paul Brighelli

Alors Philip Roth, l’homme qui ne souriait jamais sauf en se cachant, est mort. Et il n’ira pas au Paradis, ni dans les Limbes, ni nulle part ailleurs. C’était un incroyant notoire — il était même, expliqua-t-il un jour, anti-religieux : « Je trouve les religieux immondes. Je hais les mensonges de la religion. Ce n’est rien qu’un immense mensonge. » Cela me rappelle l’imprécation finale de Maurice de Nassau, prince d’Orange, qui sur son lit de mort en 1625 ne trouva rien d’autre à dire, au curé arrivé en urgence, que « Je crois que deux et deux font quatre » — une réplique que Molière mit plus tard dans la bouche de Dom Juan. Roth a enfoncé le clou : « Rien de névrotique dans mon opinion. Elle se fonde sur l’abominable histoire de la religion — je ne veux même pas en parler. Rien d’intéressant à parler de moutons sous le joli nom de « croyants ». Quand j’écris, je suis seul. Plein de crainte, de solitude et d’anxiété — et je n’ai nul besoin de religion pour me sauver. »

Rita Braver, intervieweuse de CBS, avait beau insister (« Mais vous n’avez pas le sentiment qu’il y a un Dieu parmi nous ? Vous pensez à ce que diront les gens en vous entendant faire profession d’athéisme ? » — aux États-Unis, c’est par votre foi, ou l’absence d’icelle, que l’on vous somme de vous définir), Roth (que l’on devine poliment exaspéré) avait insisté aussi : « Quand le monde entier cessera de croire en Dieu, ce sera un chouette endroit pour vivre… »

Le parallèle avec Dom Juan n’est pas vain. Roth était un séducteur — comme Albert Cohen au fond : du charme, du talent, et ce « mépris d’avance » qui peut rendre le séducteur haïssable, une fois qu’il a déjà séduit. Parlez-en à Claire Bloom, avec qui il vécut plusieurs années, et dont il ne supportait pas la fille, qui était, à son avis, une imbécile. Nous en avons assez autour de nous, autant s’épargner d’en avoir près de nous.

Roth et les femmes, donc. Les Juifs qui l’ont presque systématiquement condamné, livre après livre, expliquant même que son œuvre était ce qu’il y avait de plus antisémite après les Protocoles des Sages de Sion (si ! Il y en a qui n’ont pas peur de dire des énormités), se sont focalisés sur ses héros masculins, tous soupçonnés d’être des reflets ou des hypostases de l’auteur (dans le grand fourre-tout médiatique, il n’y a plus personne apparemment qui comprenne qu’auteur, narrateur et héros sont des entités distinctes, même quand le héros s’appelle Philip Roth, comme dans The Plot against America ou Operation Shylock). Neil Klugman dans Goodbye Colombus, Alexander Portnoy dans Portnoy’s complaint (qui pourrait postuler au Guinness Book dans la catégorie « scènes de masturbation »), Nathan Zuckerman ou David Kepesh, qui reviendront chacun dans trois romans — et j’en passe. Tous des « alter ego » de l’auteur, dit le critique pressé. « Tous antisémites ! », affirme l’hassidique new-yorkais. Alors que Roth se souciait surtout de peindre l’Amérique… Stendhal déjà ironisait sur les imbéciles qui accusent le miroir…

On s’en fiche. L’avis des imbéciles, hein… « Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs », comme dit l’autre.

Moi, ce qui m’a toujours motivé chez Roth, ce sont ses femmes. Il avait le chic avec les nanas. Goodbye Colombus, c’est Brenda Patimkin ; Portnoy, c’est Mary Jane Reid, dite « The Monkey » ; The Human Stain, c’est Faunia Farley ; The Dying animal, c’est Consuelo Castillo ; The Humbling, c’est Pegeen Mike Stapleford…

Enfin, si je suis absolument objectif, c’est plutôt, dans l’ordre, Ali MacGraw, que l’on reverrait dans Love Story et surtout dans The Getaway,

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c’est Karen Black,1348682890_3 

c’est Nicole Kidman,Nicole Kidman - The Human Stain - 2_1 

ou Penelope Cruz,Penelope-Cruz-topless-In-Elegy-www.ohfree.net-001 

ou Greta Gerwig…the-humbling-al-pacino-greta-gerwig-e1412885790302-695x392

Les adaptations de Roth au cinéma ont permis à quelques réalisateurs plus ou moins inspirés de mettre en scène les relations entre des vieux mâles blancs, comme dirait Emmanuel Macron, et des créatures jeunes et excitantes.

Que Roth lui-même ait été porté sur les jeunes femmes n’est pas même évident. Claire Bloom avec laquelle il a quand même vécu une bonne dizaine d’années avait deux ans de plus que lui.

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Mais il a merveilleusement su analyser (non, il n’y a pas de jeu de mots scabreusement lacanien dans ce verbe !) les relations entre des mâles alpha glissant doucement vers la nuit et ces merveilleuses créatures à l’aube de leurs pouvoirs. La Tache, de Robert Benton (2003) voit s’affronter et s’aimer Anthony Hopkins et Nicole Kidman (trente ans d’écart — petits joueurs). Elegy, le très beau film d’Isabel Coixet sorti furtivement en 2008, oppose le chauve le plus séduisant de la planète cinéma, Ben Kingsley, à l’espagnole la plus torride, Penelope Cruz — entre eux, 31 ans d’écart. The Humbling (Barry Levinson, 2014), c’est Al Pacino et Greta Gerwig (43 ans d’écart — et pour corser le rapport, l’héroïne est lesbienne).

Amours intenses et mortelles — oui, et alors ?

« Mon » Philip Roth à moi est là, tant il est vrai que l’amour de la littérature fonctionne au sentiment artistique, certes, mais aussi au « concernement », pour reprendre un mot de Starobinski.

Le concernement est au-delà de la mimesis ordinaire : ce n’est plus seulement au personnage que l’on s’identifie, mais à toute une série de réflexions, de répliques, de détails fonctionnant sur le mode du « déjà vu », cette sensation inexplicable qui nous remplit en même temps de bonheur et d’angoisse (et après l’admiration devant une intrigue ou une phrase bien construite, ce sont ces effets de mémoire involontaire que je privilégie dans mes lectures — comme nous tous d’ailleurs). Roth parle moins à ma libido qu’à mes souvenirs. Le lire, c’est rencontrer un très belle femme pour la première fois de votre vie, et l’entendre vous dire : « C’est vous ? » C’est retrouver celle que l’on ne connaissait pas encore — la retrouver comme si on l’avait toujours connue. C’est vaincre la mort qui vient le temps d’une lecture. Et sans doute Roth a-t-il lui-même conjuré longtemps le spectre. Quand il a renoncé à écrire, il y a 6 ans, et qu’il a renoncé aussi à toute apparition médiatique, deux ans plus tard, nous avons su qu’il se sentait enfin prêt à disparaître, et qu’il n’avait plus de fantôme à glisser entre les mots pour conjurer la fin.



[Source : blog.causeur.fr/bonnetdane]

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