Ce professeur de désir a, notamment, inspiré de nombreux réalisateurs
Penelope Cruz et Ben Kingsley dans "Lovers" ("Elegy" en VO) de Isabel
Coixet, inspiré de "La Bête qui meurt" de Philip Roth. SIPA. 00599898_000003 |
Publié par Jean Paul Brighelli
Alors Philip Roth, l’homme qui ne souriait jamais sauf en se cachant,
est mort. Et il n’ira pas au Paradis, ni dans les Limbes, ni nulle part
ailleurs. C’était un incroyant notoire — il était même, expliqua-t-il
un jour, anti-religieux : « Je trouve les religieux immondes. Je hais
les mensonges de la religion. Ce n’est rien qu’un immense mensonge. »
Cela me rappelle l’imprécation finale de Maurice de Nassau, prince
d’Orange, qui sur son lit de mort en 1625 ne trouva rien d’autre à dire,
au curé arrivé en urgence, que « Je crois que deux et deux font quatre »
— une réplique que Molière mit plus tard dans la bouche de Dom Juan.
Roth a enfoncé le clou : « Rien de névrotique dans mon opinion. Elle se
fonde sur l’abominable histoire de la religion — je ne veux même pas en
parler. Rien d’intéressant à parler de moutons sous le joli nom de «
croyants ». Quand j’écris, je suis seul. Plein de crainte, de solitude
et d’anxiété — et je n’ai nul besoin de religion pour me sauver. »
Rita Braver, intervieweuse de CBS, avait beau insister
(« Mais vous n’avez pas le sentiment qu’il y a un Dieu parmi nous ?
Vous pensez à ce que diront les gens en vous entendant faire profession
d’athéisme ? » — aux États-Unis, c’est par votre foi, ou l’absence
d’icelle, que l’on vous somme de vous définir), Roth (que l’on devine
poliment exaspéré) avait insisté aussi : « Quand le monde entier cessera
de croire en Dieu, ce sera un chouette endroit pour vivre… »
Le
parallèle avec Dom Juan n’est pas vain. Roth était un séducteur — comme
Albert Cohen au fond : du charme, du talent, et ce « mépris d’avance »
qui peut rendre le séducteur haïssable, une fois qu’il a déjà séduit.
Parlez-en à Claire Bloom, avec qui il vécut plusieurs années, et dont il
ne supportait pas la fille, qui était, à son avis, une imbécile. Nous
en avons assez autour de nous, autant s’épargner d’en avoir près de
nous.
Roth et les femmes, donc. Les Juifs qui l’ont presque
systématiquement condamné, livre après livre, expliquant même que son
œuvre était ce qu’il y avait de plus antisémite après les Protocoles des Sages de Sion
(si ! Il y en a qui n’ont pas peur de dire des énormités), se sont
focalisés sur ses héros masculins, tous soupçonnés d’être des reflets ou
des hypostases de l’auteur (dans le grand fourre-tout médiatique, il
n’y a plus personne apparemment qui comprenne qu’auteur, narrateur et
héros sont des entités distinctes, même quand le héros s’appelle Philip
Roth, comme dans The Plot against America ou Operation Shylock). Neil Klugman dans Goodbye Colombus, Alexander Portnoy dans Portnoy’s complaint (qui pourrait postuler au Guinness Book
dans la catégorie « scènes de masturbation »), Nathan Zuckerman ou
David Kepesh, qui reviendront chacun dans trois romans — et j’en passe.
Tous des « alter ego » de l’auteur, dit le critique pressé. « Tous
antisémites ! », affirme l’hassidique new-yorkais. Alors que Roth se
souciait surtout de peindre l’Amérique… Stendhal déjà ironisait sur les
imbéciles qui accusent le miroir…
On s’en fiche. L’avis des imbéciles, hein… « Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs », comme dit l’autre.
Moi, ce qui m’a toujours motivé chez Roth, ce sont ses femmes. Il avait le chic avec les nanas. Goodbye Colombus, c’est Brenda Patimkin ; Portnoy, c’est Mary Jane Reid, dite « The Monkey » ; The Human Stain, c’est Faunia Farley ; The Dying animal, c’est Consuelo Castillo ; The Humbling, c’est Pegeen Mike Stapleford…
Enfin, si je suis absolument objectif, c’est plutôt, dans l’ordre, Ali MacGraw, que l’on reverrait dans Love Story et surtout dans The Getaway,
c’est Karen Black,
c’est Nicole Kidman,
ou Penelope Cruz,
ou Greta Gerwig…
Les adaptations de Roth au cinéma ont permis à quelques réalisateurs plus ou moins inspirés de mettre en scène les relations entre des vieux mâles blancs, comme dirait Emmanuel Macron, et des créatures jeunes et excitantes.
c’est Karen Black,
c’est Nicole Kidman,
ou Penelope Cruz,
ou Greta Gerwig…
Les adaptations de Roth au cinéma ont permis à quelques réalisateurs plus ou moins inspirés de mettre en scène les relations entre des vieux mâles blancs, comme dirait Emmanuel Macron, et des créatures jeunes et excitantes.
Que Roth lui-même ait été porté sur les jeunes femmes
n’est pas même évident. Claire Bloom avec laquelle il a quand même vécu
une bonne dizaine d’années avait deux ans de plus que lui.
Mais il a merveilleusement su analyser (non, il n’y a pas de jeu de
mots scabreusement lacanien dans ce verbe !) les relations entre des
mâles alpha glissant doucement vers la nuit et ces merveilleuses
créatures à l’aube de leurs pouvoirs. La Tache, de Robert Benton (2003) voit s’affronter et s’aimer Anthony Hopkins et Nicole Kidman (trente ans d’écart — petits joueurs). Elegy,
le très beau film d’Isabel Coixet sorti furtivement en 2008, oppose le
chauve le plus séduisant de la planète cinéma, Ben Kingsley, à
l’espagnole la plus torride, Penelope Cruz — entre eux, 31 ans d’écart. The Humbling (Barry Levinson, 2014), c’est Al Pacino et Greta Gerwig (43 ans d’écart — et pour corser le rapport, l’héroïne est lesbienne).
Amours intenses et mortelles — oui, et alors ?
« Mon » Philip Roth à moi est là, tant il est vrai que l’amour de la
littérature fonctionne au sentiment artistique, certes, mais aussi au «
concernement », pour reprendre un mot de Starobinski.
Le concernement est au-delà de la mimesis
ordinaire : ce n’est plus seulement au personnage que l’on s’identifie,
mais à toute une série de réflexions, de répliques, de détails
fonctionnant sur le mode du « déjà vu », cette sensation inexplicable
qui nous remplit en même temps de bonheur et d’angoisse (et après
l’admiration devant une intrigue ou une phrase bien construite, ce sont
ces effets de mémoire involontaire que je privilégie dans mes lectures —
comme nous tous d’ailleurs). Roth parle moins à ma libido qu’à mes
souvenirs. Le lire, c’est rencontrer un très belle femme pour la
première fois de votre vie, et l’entendre vous dire : « C’est vous ? »
C’est retrouver celle que l’on ne connaissait pas encore — la retrouver
comme si on l’avait toujours connue. C’est vaincre la mort qui vient le
temps d’une lecture. Et sans doute Roth a-t-il lui-même conjuré
longtemps le spectre. Quand il a renoncé à écrire, il y a 6 ans, et
qu’il a renoncé aussi à toute apparition médiatique, deux ans plus tard,
nous avons su qu’il se sentait enfin prêt à disparaître, et qu’il
n’avait plus de fantôme à glisser entre les mots pour conjurer la fin.
[Source : blog.causeur.fr/bonnetdane]
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