Le
droit de suite, qui permet à l'auteur d'une oeuvre d'art de bénéficier
d'une contrepartie financière lorsque son oeuvre est cédée, est à la
charge du vendeur.
Selon un Arrêt de rejet de la Chambre civile de la Cour de cassation rendu le 22/01/2014, le principe mentionné à l'article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle ayant pour objet d'assurer la protection des auteurs, mais aussi de contribuer au bon fonctionnement du marché commun de l'art, tout tiers justifiant d'un intérêt légitime peut donc en invoquer la violation.
Analyse de 568 Mots.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2012), que soutenant que la société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques Christie's France avait, en violation de l'article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle, inséré dans ses conditions générales
de vente une clause mettant le paiement du droit de suite à la charge
de l'acquéreur, le Syndicat national des antiquaires (SNA) a engagé une
action à l'encontre de cette société aux fins de voir qualifier une
telle pratique d'acte de concurrence déloyale et constater la nullité de la clause litigieuse ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Christie's France fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action du SNA, alors, selon le moyen :
Que
l'article L122-8 du Code de la propriété intellectuelle relatif au
droit de suite, lequel fait partie intégrante du droit d'auteur et
constitue une prérogative essentielle pour les artistes, relève dans son
ensemble d'un ordre public de protection de ces derniers ; qu'il
s'ensuit que sa violation ne peut être invoquée que par les personnes
protégées, soit les créateurs titulaires du droit de suite ; qu'en
retenant cependant en l'espèce, pour déclarer recevable l'action du SNA,
que l'objectif de ce texte relevait de l'ordre public économique de
direction, ce qui permettait ainsi à toute personne intéressée de se
prévaloir de son non-respect, la cour d'appel en a violé les dispositions ;
Que les actions préventives
sont interdites, sauf dérogation légale expresse ; que la loi
n'habilite ni les syndicats, ni les organisations professionnelles à
agir préventivement en nullité d'une clause contenue dans le modèle des
conditions générales de vente d'une société ; qu'en l'espèce, l'action
du SNA tendant à obtenir la suppression de la clause litigieuse du
modèle des conditions générales de vente de la société Christie's
France, et non la nullité de ventes qui auraient été effectuées à ces
conditions, présente un caractère préventif ; qu'en déclarant cependant
recevable cette action préventive du SNA, la cour d'appel a violé l'article 31 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant énoncé à juste titre que l'objectif de la directive (n°2001/84/CE)
du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001, relative au
droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, à la
lumière de laquelle l'article L122-8 du Code de la propriété
intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi de transposition n°
2006-961 du 1er août 2006, devait être interprété, était non seulement
d'assurer la protection des auteurs, mais aussi de contribuer au bon
fonctionnement du marché commun de l'art, sans entraves ni restrictions
de concurrence, par l'adoption d'un régime unifié du droit de suite
entre Etats membres, la cour d'appel en a exactement déduit que tout
opérateur, tiers au contrat litigieux, justifiant d'un intérêt légitime,
était recevable à en invoquer la violation ;
Et attendu, en
second lieu, qu'ayant relevé que le SNA, qui regroupe des opérateurs
dont les ventes sont soumises au droit de suite, prétendait que la
clause litigieuse faussait les conditions de concurrence entre les
différents professionnels du marché de l'art, elle a retenu, à bon
droit, que ce syndicat avait un intérêt légitime à agir en nullité de
ladite clause ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Attendu
que la société Christie's France fait grief à l'arrêt de déclarer nulle
et de nul effet la clause 4-b figurant dans ses conditions générales de
vente, alors, selon le moyen :
Que l'article L122-8 du Code de la
propriété intellectuelle, comme l'article 4 de la Directive
(n°2001/84/CE) du 27 décembre 2001, dont il assure la transposition en
droit national, énoncent sans autre précision ou restriction que le
droit de suite est à la charge du vendeur ; que l'existence d'une
obligation légale au paiement du droit de suite à la charge du vendeur,
telle qu'elle ressort de ces textes et des travaux et débats
parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi française, n'exclut
nullement la possibilité d'aménager de façon conventionnelle la charge
du paiement de ce droit, cet aménagement ne valant qu'entre les parties
au contrat de vente et étant inopposable aux bénéficiaires du droit de
suite ; qu'en retenant cependant, pour annuler la clause litigieuse des
conditions générales de vente de la société Christie's France, que la
loi française comme la Directive communautaire excluaient tout
aménagement conventionnel entre l'acheteur et le vendeur de la charge du
paiement du droit de suite, la cour d'appel a violé l'article L122-8 du
Code de la propriété intellectuelle, tel qu'il doit être interprété à
la lumière de la directive du 27 septembre 2001 ;
Que l'avis de la
Commission européenne du 22 décembre 2008 énonçait expressément que
"l'interprétation la plus appropriée de la Directive nous semble être
que les parties ont le droit de conclure (des) conventions en ce qui
concerne les modalités du paiement du droit de suite, mais que ces
arrangements n'auront qu'un effet relatif et ne dégageront pas les
parties des obligations qui leur sont conférées par la loi française" ;
qu'en retenant cependant, pour écarter cet élément des débats, que cet
avis n'était pas pertinent dans la mesure où "il ne se prononce pas sur
la conformité du dispositif à la loi nationale", la cour d'appel en a
dénaturé les termes et violé l'article 1134 du Code civil ;
Qu'une
pratique contractuelle légale et ouverte à tous ne peut par définition
même avoir un effet anticoncurrentiel, rien n'empêchant chacun des
acteurs du marché concerné de choisir d'y avoir ou non recours ; qu'en
retenant, pour annuler la clause litigieuse des conditions générales de
vente de la société Christie's France, que les "caractéristiques du
marché de la vente des objets d'art rendent impossible toute dérogation,
à peine de créer des distorsions de concurrence entre opérateurs", la
cour d'appel a violé les articles L122-8 du Code de la propriété
intellectuelle et 1134 du Code civil ;
Que la répartition de la
charge du paiement du droit de suite entre l'acheteur et le vendeur est
neutre en termes de concurrence ; que si l'existence ou l'absence de
tout droit de suite était susceptible de créer des distorsions de
concurrence ainsi que des délocalisations de ventes au sein de l'Union
européenne, l'aménagement conventionnel du poids de cette dette entre
acheteur et vendeur n'a en revanche aucune incidence dans la mesure où
la vente reste dans sa globalité soumise, comme une autre, au droit de
suite ; qu'en retenant cependant que la clause des conditions générales
de vente de la société Christie's France mettant le paiement du droit de
suite à la charge de l'acheteur était nulle car "contredisant
l'objectif d'élimination des distorsions de concurrence", la cour
d'appel a violé les articles L122-8 du Code de la propriété
intellectuelle et 1134 du Code civil ;
Attendu que le litige
présente une question d'interprétation de la Directive (n°2001/84/CE) du
Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001, qui commande,
pour la Cour de cassation, de saisir la Cour de justice de l'Union
européenne ;
Par ces motifs :
Rejette le premier moyen du pourvoi ;
Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante :
La
règle édictée par l'article 1 § 4 de la Directive 2001/84/CE du
Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit
de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale, qui met à
la charge du vendeur le paiement du droit de suite, doit-elle être
interprétée en ce sens que celui-ci en supporte définitivement le coût
sans dérogation conventionnelle possible ?
Sursoit à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Renvoie l'affaire à l'audience du 16 septembre 2014
M.Charruault, Président
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