Un établissement français aurait refusé de servir les Pakistanais sous prétexte que la nourriture n'y était pas halal. Une jeune pakistanaise rappelle que ce type de discrimination renvoie directement à l'époque coloniale.
A Islamabad, un restaurant refuse les clients
pakistanais à moins qu'ils n'aient la double nationalité. L'établissement
[qui a dû fermer ses portes] affirme que cette politique a été instaurée par respect pour "la sensibilité des musulmans",
l'intégralité du menu étant non halal. Fait intéressant, cette "sensibilité" n'a pas
d'importance lorsqu'il s'agit d'engager quelqu'un pour aider à la cuisine,
servir les plats et nettoyer après ces repas non halal, et n'est pas considérée
comme une chose digne d'être mentionnée dans la recherche d'un barman. Ce qu'on
nous dit donc, c'est qu'il est admissible d'embaucher des serveurs pakistanais
musulmans qui vont manipuler de la nourriture non halal, mais que les clients
pakistanais musulmans ne sont pas admis. Drôle de façon de nous respecter.
Les Pakistanais ostracisés au Pakistan
Le propriétaire de l'établissement, [le Français] Philippe
Lafforgue, a même pris la peine d'envoyer un courriel au journaliste
pakistanais Cyril Almeida [qui a révélé l'affaire] se terminant
par ces mots : "A propos, en lisant
les annonces dans le journal ce week-end, j'ai vu que les offres de
location à
Islamabad s'adressent toutes uniquement aux étrangers et aux
multinationales.
Les villas luxueuses ne sont louées qu'à des étrangers. Les Pakistanais
sont
refusés. L'International Club à Lahore et le Sindh Club à Karachi refusent les
Pakistanais, même en tant qu'invités. Lorsque je veux entrer dans l'enclave
diplomatique, tout ce que j'ai à faire, c'est montrer mon passeport. Vous, vous
devrez prendre un ticket, payer le tarif demandé et y aller en bus. La maison
d'hôtes juste à côté de la mienne est réservée exclusivement aux Chinois. Je
m'arrête là parce que je ne veux pas vous faire perdre votre temps. Oui, il y a
beaucoup de discrimination dans ce pays. Mais pas chez moi."
La lecture de ce mail m'a rappelé une époque [la période coloniale] où
il était acceptable, dans cette partie du monde, de dire : "Les autochtones ne sont pas admis, sauf s'ils vous servent votre
thé." Je suppose qu'on ne peut plus dire les choses ainsi.
Etre pakistanais, une identité multiple
De plus, depuis quand le mot
"pakistanais" est-il synonyme de "musulman" [5 % de la population n'est
pas musulmane, soit quelque 9 millions de personnes] ? Et comment la
détention d'une double nationalité peut-elle faire une différence, si le
client
est de toute façon musulman ? Où est la "sensibilité" dans ce cas ?
Quand a-t-on commencé à faire des exceptions dans le racisme en fonction
de qui
en est la cible ?
Mais j'ai pris conscience à quel point les propos de
Lafforgue et de certains de mes amis sont vrais. Les Pakistanais ne sont
effectivement pas autorisés à entrer dans l'enclave diplomatique de leur propre
pays et des pans entiers de nos provinces appartiennent en réalité soit aux
extrémistes, soit à des sociétés étrangères. Dans le même temps, une forme plus
subtile de colonisation pénètre tranquillement dans notre culture.
La souveraineté pakistanaise est un mythe
Notre histoire sans cesse révisée est tout aussi
trouble que notre avenir, et nous avons appris que les choses se passent mieux
pour nous lorsque nous gardons la tête basse et que nous poursuivons notre
chemin au milieu de la confusion sans poser trop de questions. La souveraineté
du Pakistan est pratiquement un mythe, une fiction qui nous fait plaisir, c'est tout.
Nous ne la voyons
pas vraiment, mais les roublards qui fabriquent le discours officiel
de l'Etat affirment qu'elle est là. Plus de 180 millions de personnes habitent
dans ce coin de terre que nous appelons "notre pays". Le fait que le
racisme soit répandu et l'oppression élitiste endémique signifie-t-il qu'on ne
doit pas empêcher personne d'être raciste ou élitiste simplement parce qu'on ne
peut pas empêcher tout le monde de l'être ?
Pour un Pakistan réellement indépendant
Cela veut-il dire que ceux qui sont peu touchés
par le statu quo (ceux qui appartiennent déjà à l'élite ou, dans le cas qui
nous intéresse, ceux qui détiennent cette preuve si convoitée qu'ils sont
"assez bien pour ne pas être Pakistanais") peuvent plaisanter et
trouver très amusant notre indignation ? Pouvons-nous dénier toute importance à de tels actes de
discrimination sous prétexte qu'ils font partie intégrante de la vie des
"Pakistanais ordinaires" ? Quel était le but du mouvement pour
l'indépendance [obtenue, avec la création du Pakistan (1947)], sinon de nous donner une chance de vivre libres et de ne pas
être traités comme des squatters dans notre propre pays ? Où est le pays qui
devait naître de cette lutte ? Où est mon Pakistan ?
[Dessin de Cost, Belgique - source : www.courrierinternational.com] |
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