[BLOG You Will Never Hate Alone] Dire de l'islam qu'il n'est pas compatible avec la République, c'est employer la même rhétorique que les antisémites d'antan.
Écrit par Laurent Sagalovitsch
Les sorties médiatiques d'Éric Zemmour ont ceci de particulier qu'elles sont toutes marquées du sceau de l'infamie. Le terme pourrait paraître excessif mais je ne vois pas bien quel autre substantif employer quand je l'entends soit vitupérer à tort et à travers sur l'islam, soit tâcher de défendre ou de relativiser la politique antijuive du maréchal Pétain. À chaque fois, je ne peux m'empêcher de ressentir un profond dégoût auquel se mêle une sorte d'effarement né du fait que cette personne partage avec moi des origines communes –juives, pour ne pas les nommer.
L'héritage du judaïsme et de son histoire devrait préserver quiconque s'en trouve issu de professer de telles ignominies. S'il existe bien des manières d'être juif, si les diversités d'opinions et les différents degrés d'appartenance contribuent à la richesse de la pensée juive, on ne saurait toutefois admettre que l'un de ses membres puisse employer vis-à-vis de la communauté musulmane des mots, des idées, des concepts qui par leur brutalité, leur ineptie, leur sectarisme, leur parfum de haine et de sang, rappellent les préjugés dont a souffert siècle après siècle le peuple juif.
Prétendre que l'islam ne saurait être compatible avec l'idée qu'on se fait de la France résonne pour celui qui veut bien l'entendre des mêmes accents funèbres naguère répandus par des régimes nationalistes qui voyaient dans l'essence même du judaïsme une incompatibilité à siéger parmi les nations. Dire du musulman que la pratique de sa religion lui interdit par essence de participer à la vie du pays, c'est commettre le même crime, le même ostracisme, qu'a dû endurer pendant toute son histoire la communauté juive.
Les mêmes clichés, les mêmes raccourcis, la même ignorance, la même astronomique bêtise qui fragilisent les communautés visées pendant qu'ils exaltent chez les esprits égarés l'envie d'en découdre avec elles. La naissance et la création des ghettos procédaient de la même logique: puisque le juif ne pouvait s'assimiler au sein de la société qui jusque-là le tolérait, puisqu'il était par nature un être nuisible dont le comportement singulier allait à l'encontre des valeurs chrétiennes, il fallait l'extirper du corps social et le tenir à la périphérie des villes, là où son influence demeurerait contenue. Faudra-t-il donc les rétablir?
On prêtait alors au juif de sinistres desseins. On le jugeait de race inférieure, individu maléfique voué au culte d'un dieu qui exaltait le désir de possession, la soif de l'or, l'exigence de dominer par tous les moyens le goy. Le juif avait l'horreur de la patrie. Il était lâche, sournois, fourbe, cynique à s'enrichir sur le dos de la veuve et l'orphelin, prêt à tout pour pourvoir à ses besoins, lesquels ne connaissaient pas de limites.
Zemmour tient le même discours vis-à-vis des musulmans, considérés comme des ennemis de l'intérieur, des individus dont le but secret serait d'islamiser la France afin d'établir un califat sur son sol. Ainsi, ce n'est plus le dieu d'Israël dont il faudrait se méfier aujourd'hui, c'est celui du Coran, de tous ses fidèles qui, installés au sein de la communauté nationale, poursuivent d'autres buts que ceux des Français de souche, des Français chrétiens... des Français juifs –on n'arrête pas le progrès!
Ne voyez-vous pas dans les propos tenus par Éric Zemmour la même déréliction que les antisémites d'autrefois, de ceux qui, au nom de la préservation du sang pur de la nation, destinaient les juifs aux meurtres de masse, aux bûchers, aux chambres à gaz? Hier on voulait se débarrasser des juifs parce qu'ils suçaient les forces vives de la nation. Aujourd'hui, on stigmatise le musulman coupable de vouloir mettre à bas la République pour mieux instaurer un régime d'imams.
Certes, je ne suis pas naïf au point d'ignorer qu'il puisse exister au sein des musulmans de France des individus prompts à embrasser pareil projet, mais combien sont-ils au juste? Pense-t-on sérieusement que leur nombre soit si élévé qu'ils représentent une menace réelle pour la République, en ce sens où un jour prochain, ils pourraient prétendre diriger ce pays? Alors quoi, il y aurait en France des millions et des millions de Frères musulmans qui à l'ombre de leurs mosquées prévoiraient de marcher demain sur l'Élysée afin d'y installer l'un des leurs?!
Mais c'est délire de penser de la sorte! De ce même délire qui voyait les juifs comme des voleurs d'enfants dont ils épuisaient le sang afin de procéder à la fabrication rituelle de leur pain azyme. De ce même délire qui les représentait comme des meurtriers du Christ. De ce même délire qui considérait le Talmud comme hérétique et instrument de haine anti-chrétienne au point où à la suite d'un procès retentissant, on s'en alla dans les rues de Paris brûler par charretées entières des exemplaires de ce livre sacré. Fera-t-on demain pareil avec le Coran?
À se demander si Zemmour connaît ne serait-ce qu'un fragment de son histoire juive.
[Photo : Attila Kisbenedek / AFP - source : www.slate.fr]
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