terça-feira, 19 de outubro de 2021

L'orthographe française est-elle vraiment étymologique ?

L'écriture curieuse de certains mots se justifie souvent par leur origine. Mais cet argument vaut surtout pour les termes d'origines grecque et latine. Et encore, pas toujours...

 
Écrit par Michel Feltin-Palas

Personnellement, j'adore l'étymologie, cette branche de la linguistique qui explique en grande partie l'orthographe de notre lexique. Pourquoi, par exemple, le Panthéon s'écrit-il avec un h ? Parce qu'il vient du grec theios "qui concerne les dieux". Pourquoi un k à "kinésithérapeute" ? Parce qu'il est le lointain descendant de kinêsis, qui signifie "mouvement". Pourquoi un p à sept ? Parce qu'il s'agit d'une évolution du latin septem, de même que vingt prend un et un t en souvenir du latin viginti. Et je pourrais continuer ainsi longtemps.
 
Hélas, comme souvent en français, cette pseudo-règle n'en est pas tout à fait une. Et ce pour au moins deux raisons.
1. Il y a des langues privilégiées et des langues négligées. Comme le montre le paragraphe précédent, le recours à l'étymologie vaut surtout pour le latin et le grec. En revanche, on n'en tient très peu compte dans d'autres cas. "Hasard", qui nous vient de l'arabe az-zahr, "jeu de dés", devrait en réalité s'écrire azard tandis qu'"assassin" devrait en toute logique posséder un [h] à l'initiale puisque le mot est issu de la secte des Hashishiyyin, laquelle commettait des meurtres en pleine mosquée. "Alarme" et "alerte" devraient s'écrire allarme et allerte dès lors qu'ils proviennent respectivement des expressions italiennes all' arma (littéralement "aux armes") et all'erta ("sur la hauteur"). Quant à notre "loustic", il devrait s'écrire avec un [g] puisqu'il vient de l'allemand, Lustig, " joyeux".
On observe la même négligence vis-à-vis des langues régionales. "Cohue", emprunté au breton koc'hu ou koc'hui, "halle", aurait toutes les raisons de devenir kohue, tandis que le [j] de "bijou" devrait être remplacé par un [z] puisqu'il s'agit d'un dérivé du breton biz, "doigt". "Cadet", venu du gascon, devrait s'écrire capdet. Si l'on respectait son origine picarde, "maquiller" devrait s'écrire maquier, ou bien makier si l'on remonte plus avant au néerlandais maken dont il est lui-même issu. Quant à la célèbre "choucroute", il s'agit d'une transposition très aléatoire de sûrkrût, littéralement "herbe aigre".
2. Même pour le latin et le grec, il existe de nombreuses exceptions. Une règle est-elle bien une règle quand on y déroge à qui mieux mieux ? On peut se poser la question tant les exceptions sont innombrables, y compris pour les deux grandes langues antiques.
· "Mélancolie", par exemple, vient du grec melankholia ("bile, humeur noire"), mais a tout de même perdu son [h]...
· Alors qu'il se prononce segond, "second" prend un c pour une raison étymologique : il vient du latin secundus. Mais alors pourquoi "dragon" s'écrit-il avec un [g] alors qu'il vient du latin draco ?
· "Oreille" devrait s'écrire aureille, conformément au latin auricula, forme que l'on retrouve d'ailleurs dans "ausculter" et dans "auriculaire".
· Les [h] de "trahir" et de "envahir" n'ont aucune justification étymologique puisque ces deux mots sont issus des verbes latins tradere et invadere. Ils pourraient donc très bien s'écrire traïr et envaïr sans que cela affecte leur prononciation.
· En 1694, l'Académie avait fixé une règle : si le son prononcé "an" remonte à un [e]latin, on écrit en ;s'il remonte à un [a], on écrit anAnfant, commencemant, samblant s'écrivent donc depuis "enfant", "commencement", "semblant". Ce qui n'empêche pas le latin vindemia d'avoir donné "vendange"...
· La même année, les Immortels ont remplacé d'anciennes consonnes devenues muettes par des accents circonflexes : "août" se substitue à aoust"brûler" à brusler, "château" à chasteau, etc. Le problème est qu'ils en ajoutent aussi sans aucune raison à "théâtre" (qui vient du latin theatrum et du grec theatron) et à "pôle" (du latin polus et du grec polos). Dans le même temps, ils en oublient là où ils se justifieraient : sur le [u] de "soutenir", par exemple, qui vient de soustenir, et sur celui de "mouche",qui vient de mosca...
· Sous la Renaissance, l'Académie française n'existe pas encore (elle sera créée en 1635) : les imprimeurs, disposent donc d'une grande liberté et en profitent pour disséminer de nombreuses lettres muettes pour des raisons étymologiques, en s'inspirant parfois d'usages plus anciens. Ils ajoutent un [g] et un [t] à "doigt" pour rappeler le latin digitus ;un [x] à "paix" (pax) ; des [p] à "compter" (computare), à "corps" (corpus) et à "temps" (tempus)... Cela nous paraît tout à fait naturel car nous y sommes habitués. Et pourtant, d'autres suggestions de ces mêmes imprimeurs n'ont pas connu la même fortune alors qu'elles répondaient à une logique équivalente. Qui, aujourd'hui, jugerait comme eux nécessaire d'ajouter un [b] à doubter (dubitare) et à soubdain (subitaneus) ou encore un [c] à faict (factum) ?
Cela ne veut pas dire qu'il faut faire fi de l'histoire des mots. Mais il n'est pas inutile de savoir que l'argument étymologique, souvent avancé pour s'opposer à un alignement de l'orthographe sur la prononciation, est à géométrie variable. Et qu'en réalité, notre jugement sur la "bonne" orthographe est souvent le fruit de l'habitude.
Sources :
L'aventure des mots français venus d'ailleurs, Henriette Walter, Robert Laffont

 

 

[Source :www.lexpress.fr]

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