Les
adversaires des écoles immersives en langues régionales s’inquiètent du
niveau de leurs élèves en français. A ceci près qu’il est… meilleur que
la moyenne.
Écrit par Michel Feltin-Palas
Le Conseil constitutionnel en a ainsi décidé : les écoles immersives en langues régionales sont contraires à la Loi fondamentale. En cause : leur incompatibilité supposée avec cet alinéa de l’article 2 : « La langue de la République est le français » (adopté en 1992, je le mentionne au passage, pour lutter contre… l’anglais). Quant à Jean-Michel Blanquer, qui a téléguidé sa saisine, il s’inquiète officiellement pour le niveau en français de leurs élèves (1). Je n’étonnerais personne en écrivant que je conteste ces prises de position sur le fond dans la mesure où elles mettent en danger la diversité culturelle de notre pays. Mais c’est sur un autre terrain que j’aimerais me placer cette semaine, celui des simples faits.
Rappelons d’abord que l’enseignement immersif consiste à dispenser en
langues régionales la plupart des cours, qu’il s’agisse de l’histoire,
des sciences naturelles ou des mathématiques. À la maternelle et au CP,
la langue régionale est même utilisée de manière exclusive car c’est
l’âge auquel les enfants apprennent le plus facilement. Le français,
lui, est intégré progressivement, à raison de trois heures en CE1,
quatre heures en CE2, cinq heures en CM1 et six heures en CM2, par
exemple, pour les calendretas (écoles immersives en occitan).
Pourquoi ce choix ? Pour une raison évidente : en métropole, les enfants
évoluent désormais dans une société totalement francophone. En famille,
à la télévision, sur Internet, au foot ou au conservatoire, la majorité
d’entre eux vit en français. Dès lors, seul un « bain linguistique »
tel qu’il est pratiqué par l’enseignement immersif leur permet
d’acquérir une certaine aisance dans la langue régionale. En sachant que
ces vingt-quatre heures hebdomadaires restent largement inférieures à
la totalité de vie éveillée d’un enfant (environ cent heures par
semaine).
Y a-t-il
néanmoins un risque de voir ces enfants ne pas maîtriser correctement le
français ? C’est la crainte de Jean-Michel Blanquer, même si, de
manière curieuse – à moins que ce ne soit très volontaire – le ministère
de l’Éducation nationale n’a jamais réalisé d’enquêtes globales sur le
sujet. On dispose en revanche de plusieurs études ponctuelles, que cite le rapport Euzet-Kerlogot, du nom des deux députés missionnés par le Premier ministre sur ce sujet.
La première a
été réalisée dans le réseau Diwan (breton) en 2019 par les très
sérieuses Inspections générales de l’Éducation nationale et de
l’Administration, de l’Éducation nationale et de la Recherche (rapport Yves Bernabé- Sonia Dubourg-Lavroff).
Voici ses conclusions : « Le réseau obtient aux évaluations d’entrée en
sixième, au diplôme national du brevet, au baccalauréat, des résultats
meilleurs que ceux de la moyenne nationale. Les résultats aux
évaluations d’entrée en sixième montrent que les compétences attendues
sont bien atteintes à la fin du CM2. » Les chiffres fournis par les
inspecteurs concernant le brevet des collèges tournent carrément au
plébiscite : 98,64 % de réussite pour Diwan en 2016 contre 87,9 % au
niveau national ; 99,16 % en 2018 contre 87,30 %!
À l’inverse,
enseigner le français et le breton à parité horaire, comme le souhaite
Jean-Michel Blanquer, reviendrait à réduire l’exposition hebdomadaire
des enfants à la langue régionale à seulement douze heures, ce qui ne
permet pas de former de bons locuteurs. Ce que confirment d’ailleurs
d’autres statistiques du rapport Bernabé-Dubourg-Lavroff : le niveau en
breton des élèves qui suivent un enseignement à parité horaire est
largement inférieur à celui de leurs camarades des écoles immersives
Diwan. (2)
La seconde
étude, menée par l’Office de la langue basque (où l’État est présent au
côté des collectivités territoriales) concerne les élèves de CE1 –
niveau où l’enseignement du français commence tout juste à être
introduit. Verdict ? Lors des évaluations nationales, « les enfants
ayant suivi l’expérimentation 100% basque à l’école maternelle ne
présentent pas de déficit en français en CP (…), voire ont de meilleurs
résultats sur la plupart des items évalués quant à la maîtrise de la
langue que les élèves ayant suivi un enseignement exclusivement en
français. »
Certes, ces
données doivent être analysées avec prudence, dans la mesure où elles
concernent de faibles effectifs et peuvent être influencées par la
classe sociale des parents. Il demeure qu’à ce stade, rien, strictement
rien, ne prouve que les élèves de ces établissements rencontrent de
quelconques difficultés en français – bien au contraire.
Cela n’a
d’ailleurs rien d’étonnant compte tenu des effets favorables bien connus
du bilinguisme précoce sur la réussite scolaire. « Le fait de passer en
permanence d’une langue à l’autre accélère le développement des
fonctions cérébrales permettant la flexibilité cognitive », souligne
ainsi la psycholinguiste Ranka Bijeljac-Babic (3).
Ces bons
résultats sont d’ailleurs conformes à ce que l’on observe à l’étranger.
Le rapport Euzet-Kerlogot rappelle ainsi que l’enseignement immersif en
langues régionales s’inspire directement du Canada, où il a été mis en
place pour sauver… le français, menacé par la prédominance anglophone !
Quant à moi, qui ai toujours eu l’esprit taquin, je ne peux m’empêcher
d’ajouter que cette méthode supposée néfaste est appliquée avec les
encouragements du même Jean-Michel Blanquer dans… les lycées français à
l’étranger.
Peut-on enfin
rappeler que la méthode immersive fut aussi celle utilisée sans
ménagement par l’école publique depuis le début de la IIIe République au
profit du français ? À une – grande – différence près : les fameux
« hussards noirs » pratiquaient une immersion forcée, répressive et
exclusive, puisque les enfants surpris à parler corse, breton ou basque
étaient punis, voire humiliés. « Rien de tel dans les écoles immersives
en langue régionale, qui reposent entièrement sur le volontariat, ne
sanctionnent aucun élève désireux de parler français et visent le
bilinguisme », souligne Jean-Louis Blenet, président de l’Institut supérieur des langues de la République française.
Qu’en conclure,
sinon que Jean-Michel Blanquer comme les membres du Conseil
constitutionnel semblent en l’espèce agir sous l’empire de l’idéologie,
sans considération aucune pour les faits ? L’un des soi-disant « sages »
l’a d’ailleurs confié au lendemain de la décision : « Franchement, nous
étions plusieurs à ignorer totalement ce qu’était l’enseignement
immersif. »
C’est le moins que l’on puisse dire.
(1) Il avait
notamment déclaré au Sénat le 21 mai 2019 à propos des écoles Diwan :
« D’un point de vue pédagogique, il y aurait beaucoup à discuter autour
de ça. On pourrait arriver à dire que cognitivement, ce n’est pas si bon
que ça, précisément si l’enfant est mis dans la situation d’ignorer la
langue française. »
(2) Cela
n’empêche pas ledit rapport de préconiser de manière paradoxale l’arrêt
de la méthode immersive dans le réseau Diwan. Autre indice de
l’idéologie hostile du ministère de l’Education nationale sur ce sujet.
(3) L’enfant bilingue, Ranka Bijeljac-Babic, Odile Jacob.
[Source : www .lexpress.fr]
Sem comentários:
Enviar um comentário