terça-feira, 21 de setembro de 2021

Pour progresser en français, apprenez une langue régionale !

Les adversaires des écoles immersives en langues régionales s’inquiètent du niveau de leurs élèves en français. A ceci près qu’il est… meilleur que la moyenne.

Écrit par Michel Feltin-Palas

Le Conseil constitutionnel en a ainsi décidé : les écoles immersives en langues régionales sont contraires à la Loi fondamentale. En cause : leur incompatibilité supposée avec cet alinéa de l’article 2 : « La langue de la République est le français » (adopté en 1992, je le mentionne au passage, pour lutter contre… l’anglais). Quant à Jean-Michel Blanquer, qui a téléguidé sa saisine, il s’inquiète officiellement pour le niveau en français de leurs élèves (1). Je n’étonnerais personne en écrivant que je conteste ces prises de position sur le fond dans la mesure où elles mettent en danger la diversité culturelle de notre pays. Mais c’est sur un autre terrain que j’aimerais me placer cette semaine, celui des simples faits.

Rappelons d’abord que l’enseignement immersif consiste à dispenser en langues régionales la plupart des cours, qu’il s’agisse de l’histoire, des sciences naturelles ou des mathématiques. À la maternelle et au CP, la langue régionale est même utilisée de manière exclusive car c’est l’âge auquel les enfants apprennent le plus facilement. Le français, lui, est intégré progressivement, à raison de trois heures en CE1, quatre heures en CE2, cinq heures en CM1 et six heures en CM2, par exemple, pour les calendretas (écoles immersives en occitan). Pourquoi ce choix ? Pour une raison évidente : en métropole, les enfants évoluent désormais dans une société totalement francophone. En famille, à la télévision, sur Internet, au foot ou au conservatoire, la majorité d’entre eux vit en français. Dès lors, seul un « bain linguistique » tel qu’il est pratiqué par l’enseignement immersif leur permet d’acquérir une certaine aisance dans la langue régionale. En sachant que ces vingt-quatre heures hebdomadaires restent largement inférieures à la totalité de vie éveillée d’un enfant (environ cent heures par semaine).

Y a-t-il néanmoins un risque de voir ces enfants ne pas maîtriser correctement le français ? C’est la crainte de Jean-Michel Blanquer, même si, de manière curieuse – à moins que ce ne soit très volontaire – le ministère de l’Éducation nationale n’a jamais réalisé d’enquêtes globales sur le sujet. On dispose en revanche de plusieurs études ponctuelles, que cite le rapport Euzet-Kerlogot, du nom des deux députés missionnés par le Premier ministre sur ce sujet.


La première a été réalisée dans le réseau Diwan (breton) en 2019 par les très sérieuses Inspections générales de l’Éducation nationale et de l’Administration, de l’Éducation nationale et de la Recherche (rapport Yves Bernabé- Sonia Dubourg-Lavroff). Voici ses conclusions : « Le réseau obtient aux évaluations d’entrée en sixième, au diplôme national du brevet, au baccalauréat, des résultats meilleurs que ceux de la moyenne nationale. Les résultats aux évaluations d’entrée en sixième montrent que les compétences attendues sont bien atteintes à la fin du CM2. » Les chiffres fournis par les inspecteurs concernant le brevet des collèges tournent carrément au plébiscite : 98,64 % de réussite pour Diwan en 2016 contre 87,9 % au niveau national ; 99,16 % en 2018 contre 87,30 %!

À l’inverse, enseigner le français et le breton à parité horaire, comme le souhaite Jean-Michel Blanquer, reviendrait à réduire l’exposition hebdomadaire des enfants à la langue régionale à seulement douze heures, ce qui ne permet pas de former de bons locuteurs. Ce que confirment d’ailleurs d’autres statistiques du rapport Bernabé-Dubourg-Lavroff : le niveau en breton des élèves qui suivent un enseignement à parité horaire est largement inférieur à celui de leurs camarades des écoles immersives Diwan. (2)

La seconde étude, menée par l’Office de la langue basque (où l’État est présent au côté des collectivités territoriales) concerne les élèves de CE1 – niveau où l’enseignement du français commence tout juste à être introduit. Verdict ? Lors des évaluations nationales, « les enfants ayant suivi l’expérimentation 100% basque à l’école maternelle ne présentent pas de déficit en français en CP (…), voire ont de meilleurs résultats sur la plupart des items évalués quant à la maîtrise de la langue que les élèves ayant suivi un enseignement exclusivement en français. »

Certes, ces données doivent être analysées avec prudence, dans la mesure où elles concernent de faibles effectifs et peuvent être influencées par la classe sociale des parents. Il demeure qu’à ce stade, rien, strictement rien, ne prouve que les élèves de ces établissements rencontrent de quelconques difficultés en français – bien au contraire.

Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant compte tenu des effets favorables bien connus du bilinguisme précoce sur la réussite scolaire. « Le fait de passer en permanence d’une langue à l’autre accélère le développement des fonctions cérébrales permettant la flexibilité cognitive », souligne ainsi la psycholinguiste Ranka Bijeljac-Babic (3).

Ces bons résultats sont d’ailleurs conformes à ce que l’on observe à l’étranger. Le rapport Euzet-Kerlogot rappelle ainsi que l’enseignement immersif en langues régionales s’inspire directement du Canada, où il a été mis en place pour sauver… le français, menacé par la prédominance anglophone ! Quant à moi, qui ai toujours eu l’esprit taquin, je ne peux m’empêcher d’ajouter que cette méthode supposée néfaste est appliquée avec les encouragements du même Jean-Michel Blanquer dans… les lycées français à l’étranger.

Peut-on enfin rappeler que la méthode immersive fut aussi celle utilisée sans ménagement par l’école publique depuis le début de la IIIe République au profit du français ? À une – grande – différence près : les fameux « hussards noirs » pratiquaient une immersion forcée, répressive et exclusive, puisque les enfants surpris à parler corse, breton ou basque étaient punis, voire humiliés. « Rien de tel dans les écoles immersives en langue régionale, qui reposent entièrement sur le volontariat, ne sanctionnent aucun élève désireux de parler français et visent le bilinguisme », souligne Jean-Louis Blenet, président de l’Institut supérieur des langues de la République française.

Qu’en conclure, sinon que Jean-Michel Blanquer comme les membres du Conseil constitutionnel semblent en l’espèce agir sous l’empire de l’idéologie, sans considération aucune pour les faits ? L’un des soi-disant « sages » l’a d’ailleurs confié au lendemain de la décision : « Franchement, nous étions plusieurs à ignorer totalement ce qu’était l’enseignement immersif. »

C’est le moins que l’on puisse dire.

(1) Il avait notamment déclaré au Sénat le 21 mai 2019 à propos des écoles Diwan : « D’un point de vue pédagogique, il y aurait beaucoup à discuter autour de ça. On pourrait arriver à dire que cognitivement, ce n’est pas si bon que ça, précisément si l’enfant est mis dans la situation d’ignorer la langue française. »
(2) Cela n’empêche pas ledit rapport de préconiser de manière paradoxale l’arrêt de la méthode immersive dans le réseau Diwan. Autre indice de l’idéologie hostile du ministère de l’Education nationale sur ce sujet.
(3) L’enfant bilingueRanka Bijeljac-Babic, Odile Jacob.

 

[Source : www .lexpress.fr]

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