Compagnon de route de Kerouac, Ginsberg et Burroughs, l’éditeur américain publie ses Mémoires.
Lawrence Ferlinghetti avec Allen Ginsberg, en 1971.
Écrit par Didier Jacob
C’est moins l’éditeur du mouvement beat que le
compagnon de route de cette bande de doux dingues que l’on prend plaisir
à lire en feuilletant les carnets de Lawrence Ferlinghetti, qui était à
Kerouac ce que Richelieu fut à Louis XIII. Agé aujourd’hui de 100 ans
(il est né en 1919 et a participé au débarquement de Normandie), celui
qui fonda la mythique librairie City Lights à San Francisco, et qui
publia les ténors du mouvement, a en effet fréquenté, de Ginsberg à
Burroughs, tout le gotha de l’époque.
New York, 1 avril 1960 : Lawrence arpente avec Kerouac East Second Street d’un pas « chancelant ». Encore une cuite ? Oui, mais ne vous y trompez pas, dit Ferlinghetti :
« Jack n’a rien de beat ni de beatnik hormis dans l’esprit de milliers de lecteurs de “ Sur la route ” persuadés que c’est une espèce de rebelle fou déchaîné alors que ce n’est en réalité qu’un “ bon gars de chez nous ” du petit bourg de Lowell et tout sauf un rebelle. »
Une version people de « Sur la route »
Gauchiste
convaincu, poète francophile, insatiable voyageur, Ferlinghetti n’a pas
seulement été le manager, l’accoucheur et le porte-parole des écrivains
beat. Il a vu du pays, et consacre l’essentiel de ce livre de souvenirs
à raconter ses voyages. En 1960, il arrive à La Havane, et ne tarde pas
à tomber sur Fidel en personne, lequel, grand barbu en treillis, sort
de la cuisine d’un restaurant en fumant son légendaire cigare. D’un
bond, Ferlinghetti se présente :
« Fidel est juste
accompagné d’un soldat, qui sourit bêtement à l’instant où je m’approche
pour lui serrer la main en lui disant que je suis “ poeta
norteamericano ” […]. Il cale l’arme qu’il avait à la main sous son bras, sort son cigare de la bouche et m’adresse un grand sourire, [...] et c’est alors qu’une vieille dame s’approche et l’étreint, il est ensuite évacué sans avoir prononcé une syllabe. »
On
ne compte pas, dans cette version people de « Sur la route », les
rencontres inattendues avec les stars du moment. Comme lorsque
Ferlinghetti a une discussion sur les punaises de lit avec Pablo Neruda
dans une limousine affrétée par les autorités de La Havane. Il croise
Ezra Pound, s’envole pour l’Australie, passe par la France où il se
souvient, non sans nostalgie, avoir vécu quand il avait 2 ans, met le
cap sur la Russie où on l’accuse de vouloir « beatnikiser les Russes ». Quelle époque ! Vous imaginez, aujourd’hui, Ferlinghetti au Kremlin beatnikisant Poutine ?
La Vie vagabonde - Carnets de route 1960- 2010, par Lawrence Ferlinghetti, traduit de l’anglais par Nicolas Richard, Seuil, 610 p., 25 euros.
[Photo : Sal Veder/AP/SIPA / Sal Veder/AP/SIPA - source : www.nouvelobs.com]
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