quarta-feira, 24 de abril de 2024

« Green Border », Agnieszka Holland signe un film puissant sur la crise migratoire

Agnieszka Holland saisit avec fureur et dans toute sa complexité la crise migratoire à la frontière entre la Pologne et La Biélorussie.


Écrit par Ludovic Béot

C’est l’un des dilemmes géopolitiques les plus importants de ces dernières années. En 2021, le président biélorusse Alexandre Loukachenko décide d’accorder aux réfugié·es fuyant le Moyen-Orient et l’Afrique, le libre passage vers la Biélorussie afin de pouvoir rejoindre l’Europe. Conduites à la frontière polono-biélorusse, ces populations pénètrent en Pologne et donc dans l’Union européenne et l’espace Schengen. Loin d’être le résultat d’une politique pro-immigration, l’objectif de ce stratagème politique vise à surcharger et contrarier le programme européen de réinstallation des réfugié·es. Pour répondre à cette mesure, la Pologne, alors gouvernée par les nationaux-conservateurs du PiS (Droit et Justice) décide de construire un mur d’acier recouvert de barbelés.

C’est en plein cœur de ce contexte multifactoriel (humain, territorial et politique) que le nouveau film de la cinéaste polonaise Agnieszka Holland nous plonge. Aux commandes de plusieurs épisodes de la mythique série The Wire, la réalisatrice, qui a déjà jonglé entre les différents points de vue d’un même cadre, en reprend ici le dispositif. Green Border est divisé en quatre chapitres et autant de regards distincts : d’abord par le prisme d’une famille syrienne en fuite, puis d’un jeune garde-frontière, d’une équipe d’activistes qui soutient les migrant·s et enfin d’un médecin qui rejoint les activistes.

Une narration puissante


En décrivant les postures politiques anti-migrant·es de la Pologne et de la Biélorussie à travers leurs différents enjeux, le film examine le sort et la misère des demandeur·euses d’asile et les réponses apathiques auxquelles ils et elles sont confronté·es (notamment le racisme et la brutalité déshumanisante du corps militaire). D’une puissante narrative redoutable, cet éclatement des points de vue permet surtout d’opérer une analyse structurelle, plus à froid et moins manipulatrice qu’une simple stratégie immersive nous mettant exclusivement à la place des victimes. Car si cette description est saisissante dans le premier chapitre, ce qui élève le film et le fait gagner en épaisseur et en complexité, c’est la façon dont il met à nu, du côté de la frontière polonaise, l’hypocrisie de la loi concernant la nature extrajudiciaire d’une zone d’exclusion empêchant les groupes humanitaires d’intervenir. Le film saisit ainsi minutieusement comment l’interdiction de cette zone va affecter aussi bien les migrant·es, les militant·es, les résident·es que les agents des patrouilles frontalières.

En cartographiant les réseaux de pouvoir et d’impuissance d’un espace aussi tentaculaire que périlleux où les différents groupes interagissent, cette division des récits va opérer une multitude de trous et d’angles morts et produire petit à petit une logique d’effacement des personnages migrants. Leur disparition du récit devenant l’image symbolique foudroyante de leur corps mort de faim ou ayant succombé au froid.

Green Border de Agnieszka Holland – en salle le 7 février

 

[Photo : Agata Kubis / Piffl Medien - source : www.lesinrocks.com]

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