quarta-feira, 19 de dezembro de 2018

Mais c'est quoi le problème avec "Tintin au Congo" ?


Le sulfureux deuxième album des aventures de Tintin est analysé dans un nouvel ouvrage, "Les tribulations de Tintin au Congo". Le but: "remettre Hergé dans son contexte"...
Détail de la couverture. Editions Moulinsart/Casterman
Écrit par François-Luc Doyez
En 1992, Philippe Gildas adaptait les aventures de Tintin en dessin animé via sa société Ellipse. Tous les albums, sauf deux : "Tintin chez les Soviets était trop daté et Tintin au Congo trop raciste", expliquait l'animateur de Nulle Part Ailleurs. Vingt-six ans plus tard, Casterman décide pourtant de mettre l'accent sur cet album controversé avec la sortie de la monographie Les tribulations de Tintin au Congo. Son auteur Philippe Goddin, par ailleurs président de l'association "Les amis d'Hergé", souhaite y "dévoiler les secrets de l'élaboration et de la publication des différentes versions de Tintin au Congo". Tout en ayant conscience que c'est un terrain piégeux comme il nous l'a expliqué : "Je me suis dit : 'C’est une raison de plus d’y aller'. Mon souci n’est pas de faire un travail historique ou scientifique. Je ne veux pas défendre ou raconter l’histoire de la colonisation, mais suivre Hergé pas à pas, et le remettre dans son époque".
"Hergé était baigné dans cet état d’esprit"
Son ouvrage montre ainsi que l'auteur belge a été poussé à faire cet album par l’abbé Norbert Wallez, directeur depuis 1924 du Vingtième Siècle, journal catholique de doctrine et d’information, et que la Belgique est à l'époque entièrement tournée vers sa colonie congolaise, qui la hisse au niveau des autres puissances européennes. Quelques documents évoqués dans l'ouvrage montrent l'état d'esprit des Belges envers les Congolais. "Je cite notamment un lexique qui était mis à disposition des Belges qui partaient au Congo, avec des traductions d’expressions, raconte Philippe Goddin, mais ces expressions sont pratiquement toutes des ordres : 'Fais ceci', 'cire mes bottes'... C’est confondant. On leur dit, par exemple : 'le Noir, on le tutoie, on ne le vouvoie pas'. Hergé était baigné dans cet état d’esprit".  En 1926, le dessinateur illustre ainsi un texte sur les missionnaires "qui ont tout quitté (...) pour apprendre des prières à ces vilains sauvages tout noirs qui vivent dans les forêts qui sont méchants et paresseux (...) ne savent rien (...) ne vont jamais à la messe (...) et adorent des bouts de bois".
Casterman/ éditions Moulinsart
Mais l'ouvrage ressemble souvent à une tentative de déculpabilisation d'Hergé, qui semble victime de son époque. Philippe Goddin explique : "J'ai une tendresse infinie pour Hergé, je voulais le resituer dans son époque. Son but, c'est de faire rire. Quand Milou fait des remarques au Noir qui tarde à remettre le train sur les rails, il faut prendre ça pour de l'humour, il ne faut pas croire que Hergé était un sale raciste ou qu'il avait une certaine condescendance envers les Noirs"...
"Sa manière de faire couleur locale"
Souvent dans le livre de Philippe Goddin, les critiques contre Tintin au Congo sont ainsi évoquées pour être remises en cause. Sur la façon dont Hergé fait parler les Congolais, l'auteur explique : "La connotation raciste restera évidente pour certains. C'était pourtant sa manière de faire couleur locale". Mais plus tard dans l'album, lorsque un Américain, noir de peau, parle, il dit : "Ça y en a léopard apprivoisé"... La qualité qui détermine le fait de parler correctement, ou pas, est donc la couleur de peau, pas la nationalité. 
Lorsque Philippe Goddin raconte qu'Hergé a illustré un album à la gloire de Léopold II, il écrit que le dessinateur "en a dédié deux au Congo belge, et une au roi Léopold II, à qui son pays doit de posséder une colonie. Au prix d'exactions et d'atrocités  innombrables, observeront certains à juste titre, mais ce n'était pas le propos de Werrie". Ce n'est visiblement pas son propos non plus ; l'ouvrage ne dit rien de la réalité de la colonisation menée par Léopold II. Plusieurs ouvrages parus ces dernières années, comme Congo, une histoire de l'historien David Van Reybrouck évoquent plusieurs millions de morts pendant les années de présence belge dans le pays. Et ce n'est pas qu'une analyse contemporaine : la colonisation menée par Léopold II était si brutale, notamment avec le scandale des mains coupées, qu'en 1905 une commission internationale est dépêchée pour mener l'enquête sur place. Mark Twain désignait alors Léopold II comme "le roi avec 10 millions de morts sur la conscience" alors qu'en 1909, Arthur Conan Doyle évoquait la colonisation du roi comme "le plus grand crime jamais répertorié dans les annales de l'humanité"...
"C’est toute la vision du racisme paternaliste inhérent au colonialisme qui s’exprime ici"
Il est impossible de dire si Hergé a eu connaissance de ces faits et de ces déclarations, mais sa vison des Congolais et les péripéties de son scénario, reprennent argument après argument le discours des colonialistes de l'époque. À commencer par la représentation des populations locales. Hergé le disait lui-même : "Oui mes Noirs sont de grands enfants" : naïfs, paresseux, ne sachant pas s'exprimer correctement, et habillés d'une façon ridicule. "Leur humanité semble systématiquement diminuée", note la revue Etudes, qui souligne qu'au contraire, "l'œuvre des colonisateurs à travers Tintin et l’action des missionnaires sont valorisées. Tintin rend la justice ; il soigne un malade grâce à un cachet de quinine ; il enseigne (...) il est l’homme qui apporte la modernité technique à travers le cinéma, ou la médecine". "En somme dans Tintin au Congo, poursuit la revue, l’Africain est présenté comme un grand enfant paresseux et un peu naïf, sauvé par le colonisateur blanc qui apporte la médecine, la justice, la paix entre les tribus : c’est toute la vision du racisme paternaliste inhérent au colonialisme qui s’exprime ici".
Des modifications au nom du respect de la nature
Cette mise en image des arguments colonialistes dans Tintin au Congo est absente de l'analyse de Philippe Goddin. Hergé avait conscience des énormes défauts de son album, qualifié de "péché de jeunesse". Mais s'il a fait des modifications après la mise en couleurs de 1945, elles ne concernaient pas la question raciale ou la colonisation. Dans les années 1970, des éditeurs scandinaves sont ainsi choqués par les nombreuses scènes de chasse dans Tintin au Congo. Conséquence: un rhinocéros ne meurt plus, et toute l'hémoglobine est supprimée, parce que nous explique l'auteur, Hergé "est bien conscient que depuis 1930 les mentalités ont évolué". En tout cas en ce qui concerne le respect de la vie animale.
Les modifications faites par Hergé racontent d'ailleurs sa prégnance à l'air du temps : en 1942 lorsque parait l’Étoile mystérieuse, l'adversaire opposé à Tintin est le banquier Blumenstein, qui vise "une fortune colossale", et une scène montre deux Juifs au nez protubérant, l'un deux se réjouit de la fin du monde, par appât du gain: "Ce serait une bonne bedide affaire Salomon ! Che tois 50 000 francs à mes vournizeurs. Gomme za che ne tefrais bas bayer". Les deux cases seront supprimées après la guerre, et le nom du banquier, modifié.
"Les nègres ont singulièrement pâli"
Comme Philippe Goddin le raconte, les modifications se font aussi dans un sens moins positif : à la demande des éditeurs américains, plusieurs personnages noirs deviennent blancs dans Tintin en Amérique : un portier, une nounou, et un malfrat. "Les nègres ont singulièrement pâli", commentait Hergé, qui regrettait qu'il ait "fallu y supprimer tous les nègres, parce que, comme vous le savez, il n'y a pas de nègres en Amérique, et surtout pas de problème nègre". "Il ironisait sur la mentalité américaine en disant ça", assure Philippe Goddin
Dans Les tribulations de Tintin au Congo, l'auteur semble parfois s'être trop plongé dans l’œuvre d'Hergé, reprenant son vocabulaire, comme lorsqu'il évoque les "boys" utilisés par les Belges au Congo : "Dans la documentation d'Hergé, le boy de l'explorateur Stanley est le 'nègre' Kalulu". Page 194, "l'imagerie coloniale a toujours usé et abusé de photographies de 'négresses aux seins nus' qu'Hergé n'aurait jamais placé dans ses cases à lui". Et la page précédente, il écrit en parlant d'un enfant : "Le négrillon qui tenait en main un exemplaire du Petit Vingtième dans la version d'origine, tient ici la lance de son père".
"Dire qu'en Belgique, tous les pitis blancs sont comme Tintin"
Si l'ouvrage est intéressant pour comprendre la genèse de Tintin au Congo, et voir comment Hergé a fait évoluer son œuvre tout au long de sa carrière, comme George Lucas avec Star Wars ; Les tribulations de Tintin au Congo rate un élément essentiel: Tintin au Congo n'est pas qu'une distraction. Quand Hergé l'écrit, il le fait sans doute "pour faire rire" comme le dit Philippe Goddin, mais il crée, peut-être à son insu, une œuvre politique, faisant partie d'une propagande coloniale qui vise à expliquer et à légitimer une occupation, tout en en masquant les exactions. Pour l'édition portugaise, Tintin ne se rend d'ailleurs pas au Congo, mais en Angola, alors colonie nationale. La dernière page de l'album est frappante : alors qu'un Congolais est à quatre pattes devant des statuettes à l'effigie de Tintin et Milou, un autre s'exclame : "Dire qu'en Belgique, tous les pitis blancs sont comme Tintin" : le message est clair pour les jeunes lecteurs, comme Tintin, ils sont supérieurs aux Congolais.
Tintin au Congo est un ouvrage de propagande, commandé à Hergé comme l'avait été Tintin chez les Soviets. Sans crier à la censure ou condamner l'ensemble de l’œuvre d'Hergé, il faut simplement accepter cet ouvrage pour ce qu'il est, et l'analyser en tant quel. Surtout quand on connaît son audience: l'album est le deuxième le plus vendu de toutes les aventures de Tintin et, selon l'éditeur, "le préféré des enfants"...
Philippe Goddin, Les tribulation de Tintin au Congo, Casterman / Editions Moulinsart, 220 pages, 31,50 euros
 
 [Source : www.lesinrocks.com]

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