segunda-feira, 11 de junho de 2012

Traduire : D’UNE PAROLE À L’AUTRE

Après D’une langue à l’autre et Langue sacrée, langue parlée, Nurith Aviv complète avec Traduire son exploration des facettes de la langue hébraïque, reconduisant une méthode documentaire stricte, au systématisme à la fois mécanique et respectueux de son sujet.



 D’une langue à l’autre (2004) évoquait les difficultés de l’apprentissage nécessaire de l’hébreu moderne, garant d’identité communautaire, par les nouveaux citoyens de l’État d’Israël dont ce n’était pas la langue maternelle. Langue sacrée, langue parlée (2008) soulevait la question de la double dimension de l’hébreu, langue morte sacralisée depuis deux mille ans, et pourtant bien vivante et séculière depuis les travaux d’Eliezer ben Yehoudah à la fin du XIXe siècle. Sans doute le dernier volet du "dossier", Traduire fait un peu office de symétrique de D’une langue à l’autre, puisqu’il s’intéresse aux obstacles rencontrés par les traducteurs pour retranscrire dans des mots étrangers les subtilités de la littérature hébraïque.

Suivant fidèlement la même "charte" adoptée au premier film, Traduire est avant tout un alignement de points de vue d’acteurs du monde entier sur la question qui l’anime. Chaque intervention est découpée de la même façon. D’abord, un travelling ou un panoramique expose l’environnement où vit l’intervenant. Puis, un plan fixe cadre celui-ci se tenant à l’emplacement de la maison le plus représentatif du film (le seuil dans D’une langue à l’autre, la bibliothèque dans Langue sacrée, langue parlée, ici la pièce de travail avec une fenêtre donnant bien à voir l’extérieur). Suit enfin la prise de parole proprement dite, non spontanée mais claire, précise et sans fioritures, découpée en deux ou trois longs extraits ininterrompus où l’interlocuteur n’intervient jamais. De temps à autre, des petites séquences enrichissent l’illustration de la piste ouverte dans le film, tels les extraits de films d’archives dans Langue sacrée, langue parlée, ou les lignes de poèmes récitées dans Traduire.

On voit vite où la réalisatrice veut en venir, et sur la longueur, son système accuse quelques scories tandis qu’il avance vers un résultat certain. Si les plans de présentation ne cachent guère leur sens (dans Traduire, les bureaux et les fenêtres évoquent le travail pour offrir au monde l’essence de la littérature), elles tendent d’un segment à l’autre, à force de répétition de ce sens, à devenir une mécanique d’illustration redondante dont on se dit qu’elle n’a finalement guère d’autre utilité que celle d’aérer le film. C’est d’autant plus sensible dans Traduire qu’Aviv s’y tient plus strictement que dans les deux épisodes précédents à cette mécanique-là. Reste que la décoration mise à part, la démarche n’en touche pas moins justein fine : ouvrir des fenêtres aux prises de parole, laisser libre cours à la multiplicité des apports sur les usages d’une langue qui se révèle de même, à divers points de vue, riche et multi-dimensionnelle jusqu’à l’abstraction (l’évocation des midrashim est bien éloquente sur ce point). Les témoignages jamais redondants se fondent naturellement en un kaléidoscope qui fait de la langue un personnage difficilement saisissable, mais bien vivant au travers de ceux qui la pratiquent, et finalement captivant. Ce à quoi, d’une certaine façon, répond en écho le beau choix d’Aviv de n’avoir comme point de vue que l’ouverture sans entraves à ceux de ses interlocuteurs – non par neutralité paresseuse ou par dissimulation hypocrite, mais par confiance dans la pertinence des éclairages subjectifs apportés au sujet. Une qualité et une sincérité d’écoute qu’on aimerait ne pas voir se perdre dans le documentaire actuel.

Benoît Smith 

[Source : www.critikat.com]

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