segunda-feira, 27 de janeiro de 2014

La Catalogne mise sur la traduction

Les indépendantistes catalans misent sur la traduction pour sensibiliser la communauté internationale à leur cause.


Écrit par Marc Pomerleau

Langagier professionnel

Le gouvernement catalan a annoncé la tenue d'un référendum sur l'indépendance le 9 novembre 2014. Le gouvernement espagnol s'y oppose farouchement et invoque l'indivisibilité constitutionnelle de l'Espagne. Pendant que les politiciens de Barcelone et de Madrid s'adonnent à une séance de bras de fer politique et juridique, la société civile catalane est en mode séduction. Séduction des indécis, mais aussi séduction de la communauté internationale. L'une des avenues exploitées par la société civile : traduire. Et traduire dans plusieurs langues.

Contrairement à ce que les non-initiés pourraient croire, la traduction ne constitue pas un acte banal. Le simple fait de traduire est indicateur d'un état de société. Étant donné que le catalan n'a pas une grande diffusion en dehors des territoires de langue catalane, la traduction s'avère un outil de communication incontournable. Et c'est sur cet outil que misent les organisations indépendantistes catalanes.

Des publications multilingues pro-indépendance

Parmi les initiatives mises en œuvre par la société civile en 2013, l'une des plus ambitieuses est sans doute celle de la publication du livre Catalonia Calling : Ce que le monde doit savoir, un projet de la revue d'histoire Sàpiens. D'abord écrit en catalan, le livre a été traduit en espagnol, anglais, français et allemand, puis envoyé aux 10 000 personnalités les plus influentes du monde, et ce, grâce à la participation financière de la population : tant la production du livre que la traduction et l'expédition ont été possibles grâce au crowdfunding, c'est-à-dire le financement participatif. Le public a répondu si massivement que la campagne a dû être prolongée : finalement, ce sont 14 513 exemplaires qui auront été expédiés, notamment au Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon, au Dalaï-Lama, à Barack Obama et à tous les autres chefs d'État du monde, de même qu'à des universitaires et célébrités influentes comme Bono et Steven Spielberg.

Cet ouvrage de 145 pages contient de nombreux articles sur divers événements clés de l'histoire de la Catalogne. Dès la première page, la directrice de la publication, Clàudia Pujol, met cartes sur table en précisant que le livre a été publié dans un premier temps pour faire connaître la Catalogne afin de pouvoir, dans un deuxième temps, la faire reconnaître. Pour ce faire, écrit-elle, il faut que les lecteurs puissent «explorer le passé, le présent, mais aussi le futur auquel aspire la majorité des Catalans.»

Si l'initiative de Sàpiens n'a pas d'égale en termes d'envergure, elle n'est pas la seule du genre. Le livre What's up with Catalonia?, édité par Liz Castro, une Américaine catalanophile, renferme 35 essais émanant de certaines des personnes les plus influentes de Catalogne, dont le président de la Generalitat, Artur Mas, et la présidente de l'Assemblée nationale catalane, Carme Forcadell. En somme, le livre explore les tenants et aboutissants de l'indépendantisme catalan. Encore une fois, ce projet a été possible grâce au financement participatif. Dans un premier temps, 500 exemplaires du livre ont été expédiés à des politiciens influents, des bibliothèques, des journaux, etc. Le livre vient également d'être traduit en espagnol sous le titre ¿Qué le pasa a Cataluña?. Il est aussi disponible en version bilingue anglais/espagnol.

Le quotidien Ara s'est également mis de la partie en publiant le 15 décembre 2013 un supplément trilingue catalan/espagnol/anglais dont le titre français aurait pu être Le moment de vérité. Ce document de 11 pages expose la montée récente de l'option indépendantiste, la position du catalan en Europe, le futur de la Catalogne dans l'Europe, etc. Pour en favoriser la diffusion, le quotidien a décidé de le mettre à la disposition de tous sur son site web.

Et les unionistes espagnols dans tout ça?

Par ailleurs, les unionistes, qu'on pourrait aussi qualifier de "Camp du Non", ne font aucunement la promotion de leur point de vue à l'extérieur de l'Espagne et dans des langues autres que le catalan et l'espagnol. Confiants qu'ils gagneront la bataille juridique, ils n'en ressentent probablement pas le besoin. Les quelques ouvrages faisant la promotion d'une Espagne unie à avoir été publiés l'ont été en Espagne même, et le plus souvent en espagnol, comme c'est le cas pour Cataluña hispana, publié en 2013. À notre connaissance, aucun ouvrage de ce type n'a été traduit en quelque langue que ce soit. Ces ouvrages exposent certainement des arguments intéressants en faveur de l'unité de l'Espagne, mais ils ont le défaut de s'adresser essentiellement à un lectorat déjà convaincu. Bref, un coup d'épée dans l'eau.

Traduction, légitimité et pouvoir

Que cherchent à faire les indépendantistes catalans en publiant ces ouvrages? Ils veulent certes se faire connaître et sensibiliser le monde entier à leur cause, mais ils sont surtout à la recherche d'appuis et de légitimation. Ce dernier élément est central à la démarche catalane : il vise à faire contrepoids à ce que le gouvernement espagnol clame haut et fort depuis des mois, soit que le processus indépendantiste catalan est illégitime.

En l'absence d'un état propre, la Catalogne se tourne donc vers la diplomatie culturelle, notamment par le biais de la traduction. Cette dernière permet la circulation des idées, ce qui en fait une activité empreinte de pouvoir. D'ailleurs, selon la traductologue de renommée internationale Tejaswini Niranjana, l'acte de traduire est de fait une action politique.

L'action politique de la société civile catalane vise la séduction, la séduction par la traduction. À ce chapitre et sur le plan des communications, les unionistes espagnols sont clairement en train de se faire doubler par les indépendantistes catalans.


[Source : www.huffingtonpost.ca]

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