« Les sirènes de l’Hakoah » (« WatermarksY ») est le premier film (2004), un documentaire passionnant primé du réalisateur franco-israélien Yaron Zilberman. Celui-ci retrace l’histoire méconnue de l’Hakoah, club sportif juif et sioniste de Vienne fondé en 1909 en réaction à l’antisémitisme en Autriche. Il y mêle des archives et les témoignages de sept anciennes championnes de ce club légendaire qui, ayant fui l’Autriche en 1938 lors de l’Anschluss [Ndlr : annexion de l’Autriche], y reviennent en 2004. Le 4 novembre 2018, dans le cadre de la Saison France Israël 2018, le cinéma Majestic Passy projettera Watermarks (1 h 17 min, hébreu sous-titrée français) de Yaron Zilberman. Séance suivie d’un débat avec le producteur Paul Rozenberg et le distributeur Michel Zana.
Publié par Véronique Chemla
« Hakoah » ! Tel un cri de ralliement ou d’encouragement, ce mot signifie « force » en hébreu.
Et il en a fallu à ces sportifs juifs pour participer à des compétitions dans l’atmosphère antijuive qui prévalait en Autriche et dans nombre de pays européens de l’entre-deux guerres.
L’âge d’or de l’équipe de football
Comme de nombreux clubs autrichiens ont adopté le « paragraphe aryen » interdisant leur accès aux Juifs, Fritz « Beda » Löhner, célèbre librettiste d’opérette, et Ignaz Herman Körner, dentiste éminent, fondent en 1909 un club sportif juif sioniste, l’Hakoah, pour « populariser le sport dans une communauté célèbre pour ses éminents intellectuels et artistes - Freud, Mahler, Zweig... » et modifier ainsi l’image des Juifs. Ils sont influencés par l’idée de Max Nordau sur « le judaïsme des muscles » (Muskeljudentum).

Parmi les sportifs de l’Hakoah : Jozsef Eisenhoffer, Sandor Fabian, Richard Fried, Max Gold, Max Grunwald, Jozsef Grunfeld, Bela Guttmann, Alois Hess, Moritz Hausler, “ Fuss” Heinrich, Norbert Katz, Alexander Nemes-Neufeld, Egon Pollak, Max Scheuer, Alfred Schoenfeld, Erno Schwarz, Joseph Stross, Jacob Wagner et Max Wortmann.
Avec 6 000 membres actifs, l’Hakoah dispose d'un stade de football qui attire 25 000 supporters.
En 1925, les footballeurs de l’Hakoah remportent le titre de champion d’Autriche.
Suscitant la fierté des Juifs d’Europe, l’équipe de football de l'Hakoah fait une tournée aux États-Unis en 1927. Elle impressionne tant les clubs américains que ceux-ci adressent aux footballeurs de l’Hakoah des propositions intéressantes. Sur les 11 joueurs, 9 acceptent et demeurent dans le Nouveau monde. Des joueurs autrichiens créent le New York Hakoah, puis l’Hakoah Tel-Aviv.

Dans ce club de Vienne, ville où vit une communauté juive d'environ 200 000 âmes – approximativement 10% des Viennois -, on peut pratiquer le football, le water-polo, la lutte…
Le niveau de ce club sportif ? Dans certaines compétitions, plus de 90% des sportifs de l’équipe autrichienne proviennent de l’Hakoah.
« The Jewish Swim Team »

À Vienne, plus d’un demi million de spectateurs se réunissent sur les rives du Danube pour voir le vainqueur des 7 km de natation.
Durant douze années consécutives, deux nageuses de l’Hakoah dominent cette compétition : Hedi Bienenfeld, en brasse, et Fritzi Löwy, bohémienne, lesbienne, nageuse au mental d’acier, en nage libre.

Celles-ci veulent prouver qu’elles peuvent faire mieux que leurs rivales et collectionnent les médailles. Pour en témoigner, des treize nageuses encore en vie, le réalisateur en retient huit : Greta Wertheimer-Stanton, du New Jersey, Anni Lampl de Los Angeles, Nanne Winter-Selinger de New York, Ann Marie Pick-Pisker de Londres, les deux sœurs Hanni Deutsch-Lux et Judith Deutsch-Haspel, Elisheva Schmidt-Zusz et Trude Platzek-Hirschler d’Israël, coprésidente des vétérans de l’Hakoa.

Selon Ann-Marie Pick-Pisker, « 98% des Autrichiens étaient nazis. Certains de mes meilleurs amis étaient nazis ». À sa petite-fille israélienne, Hanni Lux raconte la foule rassemblée à Vienne pour le passage de la flamme olympique juste avant les Jeux Olympiques de Berlin : acclamations – « Heil Hitler » - quand défile l’EWASK, club pro-nazi ; silence terrifiant lors du défilé de l’Hakoah. Élue meilleure athlète de l’année en 1936, Judith Haspel refuse de participer aux Jeux Olympiques à Berlin en 1936, à Berlin : « Je refuse de participer à une compétition sur une terre qui persécute si honteusement mon people ». Riposte de la Fédération sportive autrichienne : elle lui interdit de participer à toutes les compétitions, lui retire ses titres et ôte son nom des livres de records.

En 1938, quelques jours après l’Anschluss, l’Hakoah est interdit. Ses dirigeants – Dr Valentin Rosenfeld et Zsigo Wertheimer - pourchassés parviennent à fuir en Angleterre, à faire quitter l’Autriche à tous les nageurs et à leurs familles et à obtenir une bourse à Cambridge pour Greta Stanton.
Environ 120 000 Juifs viennois s’enfuient, en s’acquittant d’une taxe et en subissant la confiscations de leurs biens, et 60 000 meurent en déportation.
De « l’Hakoah en émigration » à « l’Hakoah en liberté »

« Quand on est exilé, soit on coule, soit on nage. Quand vous êtes jeune, vous nagez », résume Ann-Marie, arrivée à Londres « avec deux valises et cinq livres » et qui a du s’adapter à la mentalité anglosaxonne.
Sur cette expérience intransmissible de l’exil, sur ces moments difficiles, les souffrances, le film passe pudiquement.
L’univers concentrationnaire nazi est évoqué par la Buchenwald Song, composée par Fritz Beda-Löhner and Hermann Leopoldi à la demande des nazis qui voulaient une marche pour les déportés, et chantée dans un cabaret viennois.

Les sœurs Deutsch ont grandi dans une famille cultivée : leur père, ingénieur et commerçant en machines lourdes, travaillant à l’Hakoah et sioniste, a refusé d’aller en Allemagne après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 ; leur mère est l’une des premières femmes à avoir étudié à l’université de Vienne, et devint conférencière en histoire de l’art. Après l’émigration en Palestine mandataire de Judith Deutsch-Haspel, les autorités autrichiennes sportives lui retirent ses titres et ôtent son nom des livres de records. En Israël, Judith Haspel devient championne nationale de natation. En 1995, le parlement autrichien lui présente des excuses pour l’attitude scandaleuse de l’Autriche à son égard et annule les sanctions qui l’avaient frappée. Sa sœur, Hanni Lux (Deutsch), entre dans les WAAF (Women’s Auxiliary Air Force) de la British Army où elle rencontre son premier mari, Jimmy, officier dans l’Air Force. Le couple s’installe en Israël. Après le décès accidentel de son époux, elle épouse Otto Lux.
Formée à Vienne auprès d’Anna Freud, Elisheva Schmidt-Zusz est devenue une célèbre pédopsycothérapeute à Tel-Aviv, et Greta (Wertheimer) Stanton, professeur de sociologie dans le New-Jersey. Greta immigre en 1939 aux États-Unis et parvient à obtenir un visa pour Cuba à ses parents.
Après l’Anschluss, le père d’Anni Lampl a été trahi par son associé. La famille embarque pour l’Amérique. Elle épouse Sep, sportif du club, et malgré ses problèmes visuels, devient psychothérapeute.
Ayant rejoint New York, Nanne (Winter) Selinger, est la seule nageuse à revenir vivre à Vienne. Une ville qu’elle quitte quand Kurt Waldheim est élu président et retourne aux États-Unis. Elle épouse le propriétaire du célèbre Café Eclair, rendez-vous des expatriés viennois à New York.
Ann Marie Pisker (Pick), qui a participé aux Maccabi de 1935 et a gagné de nombreux championnats, s’est installée en Grande-Bretagne où elle épouse un camarade de la Hakoah. Le couple a un fils qui a représenté la Grande-Bretagne aux Maccabiades, dans la section Tennis.
Après la Seconde Guerre mondiale, le club Hakoah renaît, sans son infrastructure dont il avait été spolié par les nazis. Il remporte des titres dans des compétitions sportives nationales et internationales.
« Une expérience douce-amère »
Octogénaires, Anne-Marie (d’Angleterre), Elisheva, Hanni et Trude (d’Israël), Nanne, Greta et Anni (des États-Unis) reviennent dans leur pays natal. Un chauffeur de taxi allègue que les Juifs viennois dans les années 1930 ne sont pas Allemands ! Furieuse, Greta réplique en rappelant que sa famille a vécu à Vienne pendant des centaines d’années.
Elisheva n’oublie pas et ne pardonne pas. Quant à Greta, elle regarde Vienne comme un être familier qu’elle aurait cessé d’aimer.



Ce documentaire souligne aussi leur apogée sportive, leur fierté d’être Juifs, leur vitalité, leur joie de vivre, leur courage dans leur lutte contre l’antisémitisme, leur passion pour la natation, leur endurance lors des entraînements, leur insouciance dans une époque lourde de tensions et menaces, leur solidarité, leur volonté de survivre dans l’exil et leur courage de se confronter à l’Autriche actuelle.
On peut regretter le silence sur le destin des autres membres de l’Hakoah.

Les championnats européens aquatiques se déroulèrent à Londres (16 -22 mai 2016).
Le 14 mars 2017, Patrick Kanner, alors ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a lancé l’événement « Les Égéries du sport féminin » avec "une quinzaine de personnalités, pour promouvoir la féminisation du sport".
Le 4 novembre 2018, dans le cadre de la Saison France Israël 2018, le cinéma Majestic Passy projettera Watermarks (1h17 min, hébreu sous titrée français) de Yaron Zilberman. Y témoignent Ann Marie Pisker, Anni Lampi, Elisheva Susz, Greta Stanton, Hanni Lux, Judith Haspel, Nanne Selinger, Trude Hirschler. "Dans les années 30, les nageuses du club juif de l’Hakoah de Vienne règnent sans partage sur les compétitions nationales autrichiennes. L’annexion du pays par l’Allemagne hitlérienne marque un coup d’arrêt aux performances de ces championnes. Les nazis ordonnent la dissolution du club. Toutes les jeunes femmes prennent alors la voie de l’exil. 65 ans après, Yaron Zilberman part à la rencontre de sept de ces nageuses. Dispersées par les aléas de l’histoire, elles n’ont cessé, chacune de leur côté, de cultiver leur passion de la natation". Séance suivie d’un débat avec le producteur Paul Rozenberg et le distributeur Michel Zana.
« Les sirènes de l’Hakoah », réalisé par Yaron Zilberman
Coproduction : ARTE G.E.I.E, Zadig Productions, ORF, Girls Club Film Project, Cinephil, Yofi Films, Jetlag Productions, HBO Cinemax
France, Israël, Etats-Unis
2004, 1 h 35 mn
Sur Arte le 1er novembre 2011, à 2 h 05
Site du film « Watermarks » :
http://www.kino.com/watermarks
Site du film « Watermarks » :
http://www.kino.com/watermarks
Photos :
Équipe de football de l’Hakoah sur le terrain de Krieau
Les nageuses de l'Hakoah avec leur entraineur Zsigo Wertheimer
Hedi Bienenfeld, nageuse de l'Hakoah et première super star sportive dans l'Autriche des années 1920
Lettre de l’Hakoah du 1er août 2004
Equipe de natation de l’Hakoah arborant leur drapeau
La « Swim Team » dans les années 1930 et 2000
L'ancienne nageuse de l'Hakoah Elisheva Susz
© Zadig Productions
L’équipe du film au cinéma L’Escurial le 27 juin 2006
© Véronique Chemla
Les nageuses de l'Hakoah avec leur entraineur Zsigo Wertheimer
Hedi Bienenfeld, nageuse de l'Hakoah et première super star sportive dans l'Autriche des années 1920
Lettre de l’Hakoah du 1er août 2004
Equipe de natation de l’Hakoah arborant leur drapeau
La « Swim Team » dans les années 1930 et 2000
L'ancienne nageuse de l'Hakoah Elisheva Susz
© Zadig Productions
L’équipe du film au cinéma L’Escurial le 27 juin 2006
© Véronique Chemla
Cet article a été publié les 27 octobre 2011, puis 23 février 2012 à l'occasion de l'exposition Des JO de Berlin aux JO de Londres (1936-1948) au Mémorial de la Shoah (Paris) ;
- 15 mars 2015. France 5 diffusa les 15 et 22 mars 2015 J.O. de Berlin 36, la grande illusion, documentaire de Frank Cassenti. "En août 1936, les Jeux olympiques, orchestrés par Joseph Goebbels, le ministre de la propagande du IIIe Reich, se sont déroulés à Berlin, vaste opération de séduction destinée à présenter l'Allemagne comme une nation respectant les principes d'égalité et de fraternité de l'olympisme. Ce documentaire met à jour les stratégies politiques du troisième Reich qui ont bénéficié de la complicité du Comité olympique international pour déjouer les appels au boycott de plusieurs pays. Une fois les jeux terminés, la politique nazie s'intensifia. Comment le monde civilisé a-t-il-pu à ce point fermer les yeux sur cette « grande illusion » ? Gretel Bergmann, l'athlète Juive allemande au cœur d'un marchandage entre les autorités allemandes et le gouvernement américain, et Noël Vandernotte, qui fut médaillé de bronze en quatre-barré d'aviron, témoignent" ;
- 15 mars 2015 et 20 mai 2016, 17 mars 2017.
[Source : www.veroniquechemla.info]
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