quarta-feira, 13 de novembro de 2024

L'essor du roman en langue amazighe en Algérie : défis et reconnaissance officielle

L'écriture en amazighe a évolué d'un simple acte de résistance à une langue littéraire épanouie

Une bibliothèque de livres d'occasion dans un marché local à Tizi-Ouzou

Écrit par ماجيد صراح

Traduit par Heythem Hamrouni

 

À l'occasion de la Semaine mondiale du roman, qui commence chaque année le 13 octobre, Global Voices s'est entretenu avec des écrivains algériens d'expression amazighe. Un choix qui témoigne d'un engagement profond envers la préservation et le renforcement de leur langue maternelle.

La littérature algérienne est produite dans plusieurs langues, le français, l'arabe et l'amazighe, avec pour chacune, des traits distinctifs. Elle pose ainsi un défi pour être pleinement appréhendée.

En réponse à la question posée par Global Voices concernant leurs motivations à écrire en amazighe, les romanciers que nous avons interrogés, et qui font partie des figures littéraires les plus en vue de la littérature amazighe en Algérie aujourd'hui, ont exprimé, chacun à leur manière, les raisons qui les ont poussés à choisir cette langue plutôt que l'arabe ou le français.

L'histoire de la littérature berbère

Les premières traces d'une littérature écrite en langue berbère remontent à la période coloniale, où l'on a commencé à documenter l'héritage orale populaire, comme la poésie et les contes, à travers des auteurs tels que Said Boulifa (1865-1931), les missionnaires « Pères blancs » et certains officiers français. Le premier roman écrit dans cette langue, intitulé « Lwali N Wedrar », ou bien « Le Saint homme de la Montagne », a été publié en 1947 par Belaid Aït Ali. 

Une fresque murale dans le village de Tizi Ouzou représentant des figures autochtones, dont certaines ont contribué à la promotion de la langue amazighe dans les domaines artistique et littéraire.

Depuis lors, les publications d’œuvres littéraires en langue amazighe se sont multipliées, couvrant divers genres tels que le roman, la poésie, les nouvelles et le théâtre. Ces ouvrages ont fait l'écho de la situation générale du pays, tant dans leurs thèmes que dans leur fréquence de publication. En fait, avant la reconnaissance officielle de la langue et de la culture amazighe comme faisant partie intégrante de l'identité algérienne en 2016, la plupart des oeuvres produites sont caractérisés par une tonalité militante, aussi bien dans leur forme que dans leur contenu.

Une langue parmi d'autres

Les écrivains berbères ont voulu démontrer que leur langue est, comme toute autre, capable de produire des oeuvres littéraires. Ainsi, les romans publiés durant cette période (de la fin des années 1970 à la fin des années 1980) traitaient souvent de questions liées à l’identité ou à la lutte culturelle.

À partir de 1990, des départements de langue amazighe ont été créés dans les universités Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou et de Béjaïa, permettant ainsi le développement d’études critiques sur la littérature berbère, qu’il s’agisse de poésie ou de romans.

Depuis la reconnaissance officielle de l’amazighe comme langue nationale en 2016, la littérature berbère a connu un essor considérable. Le nombre de publications et de distinctions a décuplé, y compris des prix officiels récompensant les meilleures œuvres. Les auteurs font cohabiter entre leurs lignes une passion pour l'écriture et un fort attachement à leur identité et langue.

Expression de soi et langue maternelle

Lorsqu'on lui demande pourquoi il a choisi d'écrire dans cette langue, Djamel Laceb, 55 ans, romancier et ancien professeur de sciences physiques dans un collège, explique que s'exprimer en amazighe allait de soi :

Est-ce un choix ? Non. Écrire en amazighe s'impose comme une évidence pour moi. C'est ma langue maternelle, celle qui me permet d'exprimer mes émotions et mes états d'âme plus fidèlement.

Le romancier Tahar Ould Amar, 60 ans, estime que la question elle-même n'a pas de sens, affirmant que :

Pourquoi avez-vous choisi d'écrire en amazighe ? Cette question m'a été posée par un ami journaliste. Je lui ai répondu : “On ne demande pas à un Anglais pourquoi il écrit en anglais, ni à un Arabe pourquoi il écrit en arabe.” La question fait état d'une forte aliénation, imposée par les pouvoirs successifs. Je suis Amazigh, donc j'écris en amazighe.

Zouhra Aoudia, 42 ans, est professeure de langue amazighe dans un lycée, et romancière qui aborde des thèmes liés à la condition des femmes dans ses écrits. Elle affirme que l'écriture en amazighe lui permet d'exprimer ses émotions de manière authentique. Elle ajoute :

J’ai choisi d’écrire en amazighe, ma langue maternelle, car elle me permet d’exprimer, avec plus de sincérité, mes pensées les plus profondes. C'est à travers sa langue maternelle que l'on peut pleurer, ressentir et parler avec tout son cœur. C'est en même temps un acte de préservation culturelle, un moyen de faire découvrir nos histoires avec l'authenticité que seule cette langue peut offrir.

Préservation du patrimoine

Aldjia Bouhar, romancière et auteure de nouvelles en amazigh, explique :

J'aime écrire en amazighe, la langue que j'ai apprise de ma mère. Ainsi, je peux contribuer à sa valorisation et à sa préservation, pour qu’elle soit considérée à égalité avec les autres langues.

Houcine Louni, 41 ans, entrepreneur dans le domaine de l'édition, poète, romancier et traducteur, partage ce même élan militant de l'écriture en amazighe :

Au départ, écrire en amazighe relevait d’un véritable acte de résistance. Cette langue que nous avons apprise dès l’enfance et que nous pratiquons chaque jour, est un héritage précieux, un trait distinctif que nous partageons comme tout autre peuple. La préserver fait partie de notre identité, et c’est même un devoir de l’élever au rang de toutes les autres langues. Longtemps, nos ancêtres n’ont pas eu la liberté d’écrire, d’étudier, ou d’employer l’amazighe dans les institutions publiques. Aujourd’hui, nous avons enfin la possibilité d’utiliser notre langue avec la même fierté qu’un Japonais ou un Allemand. Aujourd'hui, les œuvres littéraires en amazighe se multiplient, et les lecteurs sont de plus en plus nombreux à les découvrir.

Beaucoup reste encore à faire

Concernant l'essor quantitatif de la littérature amazighe, le journaliste et chercheur Nourredine Bessadi souligne, lors de son entretien avec Global Voices, qu’il s’agit certes d’un progrès notable, mais un travail accru sur la qualité est nécessaire :

Les diverses formes d'expression d'une langue assurent sa pérennité. Ainsi, la littérature berbère joue un rôle fondamental dans sa préservation et sa continuité. Cependant, il me semble qu'au cours des dernières années, l'écriture littéraire en tamazight soit devenue une fin en soi, souvent au détriment de la qualité. Il est donc temps qu'une critique littéraire objective passe au crible la littérature amazighe, afin de différencier les œuvres authentiques des écrits superficiels qui ne font que remplir des pages.

Il a ajouté qu'il est également important que le soutien de l'État algérien à l'écriture en amazighe soit accompagné d'une stratégie visant à améliorer la qualité de ces œuvres.

Les financements alloués par des institutions telles que le Haut-commissariat à l'amazighité, afin d'encourager la production littéraire dans cette langue, ont montré leurs limites en ce qui concerne la qualité des œuvres produites. Écrire en amazighe, oui ; écrire pour écrire, non.

 

[Source : www.globalvoices.org]

Sem comentários:

Enviar um comentário