sábado, 19 de outubro de 2013

Le cinéma belge : la poésie les doigts dans le cambouis

Les Français que nous sommes ont le plus grand mal à cerner la Belgique, en dehors des célèbres blagounettes qui égayent les repas de famille. « Pourquoi les Belges nagent-ils toujours au fond des piscines ? Parce qu’au fond, ils ne sont pas si bêtes. » À l’écran également, les Belges font étalage de bien plus de qualités cinématographiques que ne le conçoit la conscience collective. Alors que sortent aujourd’hui deux productionsmade in le Plat Pays, Le Grand’Tour et La Cinquième saison, Ragemag vous propose une plongée dans un 7e art qui fleure bon le houblon.

Écrit par Claire Mizrahi

L’actualité politique de la Belgique tranche avec l’image bonhomme que traîne le pays. Abdication du roi Albert et couronnement de Philippe, fronde des indépendantistes flamands et résistance wallonne, siège de nombreuses institutions européennes, la belgitude surprend. Astérix lui-même, l’irréductible Gaulois pur jus, se rend en Belgique vérifier si « de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves ! »

« De la bêtise crasse au génie le plus total, le Belge n’est jamais là où on l’attend. »
Ce qui fait la force des Belges, c’est surtout leur capacité d’autodérision trash, fil conducteur de bon nombre de leurs productions artistiques. Et bien que le sage Jacques Brel définisse son pays comme « un terrain vague où des minorités se disputent au nom de deux cultures qui n’existent pas », le clivage de la langue perd souvent un spectateur français peu au fait des subtilités d’un pays considéré comme en ayant peu. Jean-Claude Van Damme, étrangement, n’a pour sa part aucun mal à être identifié comme belge et porte haut les couleurs de son pays : « Marcel Proust, oui. Un peu comme moi. Longtemps, il s’est couché aware. » De la bêtise crasse au génie le plus total, le Belge n’est jamais là où on l’attend.
Un pays, deux langues, du cinéma


cinéma belge
Le cinéma belge — un concept généralisateur que n’apprécient pas tous ses acteurs — se divise objectivement quoi qu’il arrive en deux, en raison de la langue. Cinéma wallon francophone d’un côté et flamand de l’autre. Récemment, le cinéma flamand a connu une nouvelle vague, inspirée pour certains par le cinéma américain, et portée par des succès internationaux. Parmi ceux-ci, trois au moins valent le coup de troquer votre cours de karaté contre deux heures de ciné. Bullhead, un détour remarqué par le trafic d’hormones bovines (souvent sexy, la belgitude ne choisit pas ses sujets par hasard), nominé aux Oscars. Hasta la Vistaroad trip drolatique de trois copains handicapés bien décidés à perdre leur virginité, et La Merditude des choses, chronique familiale portée par la sainte trinité des « b » : bière, baise et boulet.

D’autres observateurs élargissent également cette nouvelle vague au cinéma belge francophone, tendant donc à regrouper les deux cultures sous une même dynamique artistique. Joachim Lafosse avec À en perdre la raisonBouli Lanners avec Les Géants, ou encore Lucas Belvaux avec 38 Témoins, voilà trois réalisateurs qui visent eux aussi au-dessus de la ceinture. Mais quelle que soit la langue de tournage et la renommée de ses productions, le cinéma belge reste discret en nombre : une trentaine de films produits en 2012 contre plus de 270 en France.
Du réalisme au surréalisme : le grand écart originel du cinéma belge


cinéma belge
Dans ce jeu de cache-cache identitaire, le cinéma belge s’inspire de deux courants qu’on aurait pu croire antagonistes : le réalisme et le surréalisme. Forts d’une tradition du documentaire largement représentée par la création de l’émission mythique Strip-tease en 1985, les Belges appliquent au cinéma de fiction une observation à la fois crue et cynique du monde qui les entoure, surtout quand ce monde dépeint une société alcoolique, chômeuse et déjantée. Il y a de la merde par terre ? Très bien, je la mets dans mon film, j’en rajoute une couche et je marche dedans histoire de rire du problème. Voilà l’esprit. À lui seul, le titre de La Merditude des choses, réalisé par Felix Van Groeningen, illustre à point ce mélange subtil de trivialité et de sociologie documentariste qui imprègne les films d’outre-Quiévrain. Une première entrée en matière à compléter par Les Convoyeurs Attendent de Benoît Mariage, passé par la case Strip-Tease à la RTBF , dont le pitch résume bien la nature : « Film franco-belgo-helvétique avec Benoît Poelvoorde et Bouli Laenners, l’histoire d’un père de famille, photographe à la rubrique chiens écrasés, qui rêve que son fils entre dans le Livre des Records en ouvrant et fermant une porte plus de 40 000 fois en 24 heures. » Cqfd.

Beaucoup de réalisateurs sont ainsi passés par la case documentaire, une école initiée par le pape du genre : Henri Storck, auteur de Misère au Borinage (1933), brûlot dénonciateur de l’exploitation ouvrière. Un héritage que revendique toujours la jeune génération, créant une continuité qui détermine profondément leur cinéma. Patric Jean, réalisateur du documentaire féministe La domination masculine, écrit même aux morts à travers Les enfants du Borinage, lettre à Henri Storck. Histoire de rappeler que la réalité a beau s’être modernisée, elle demeure viciée.
« À lui seul, le titre de La Merditude des choses illustre à point ce mélange subtil de trivialité et de sociologie documentariste qui imprègne les films d’outre-Quiévrain. »
Dans cette même lignée, le phénomène C’est arrivé près de chez vous, sorti en 1992, n’a pas seulement révélé Benoît Poelvoorde et fait connaître la famille Belvaux au grand public, il a surtout fait sortir l’humour noir artistique belge du placard. Juste un an auparavant, Jaco Van Dormael, réalisateur inspiré du Huitième Jour et de Mr Nobody, contribuait également à ce coming out national avec son Toto le Héros, patchwork exigeant et fantasque de fantasmes et de flash-back d’un jeune garçon devenu adulte, persuadé d’avoir été échangé à la naissance et donc tout autorisé à se taper sa sœur qui-en-fait-ne-serait-pas-sa-sœur. C’était parti pour de glorieuses années de production cinématographique, qui verraient plus tard se hisser au grand jour des réalisateurs stars comme les frères Dardenne, maniant avec brio cette science du réalisme distancié. Avant les années 1990, le cinéma belge connaît des débuts balbutiants jusqu’aux années 1970, entre courant documentaire inévitable et une certaine rigidité académique. C’est notamment en réaction à cet immobilisme artistique que certains vont effectuer un beau u-turn vers une imagination débridée au service d’un message social, proche de pratiques expérimentales.
La jeune Chantal Akerman réalise ainsi en 1975 un film acclamé par la critique, Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Plus de 3 heures de plans fixes quasi muets braqués sur une jeune veuve qui se coiffe, prépare à manger à son fils et se prostitue : du coup de maître au coup de massue, la frontière, comme celle du pays, est fragile. Le Belge ose tout, et c’est à ça qu’on le reconnaît. Une fois encore, réalisme pointu, intention sociale et singularité hallucinée du regard s’imposent dans la narration filmée.
cinéma belge
Il n’est d’ailleurs pas anodin que les récompenses locales les plus prestigieuses du 7e art, créées en 2011, se nomment les Magritte. Peintre belge surréaliste, René Magritte, dont le dada consistait à brouiller les pistes entre un objet et sa représentation visuelle, symbolise donc l’excellence du cinéma belge. Ce que vous voyez n’est pas ce que vous pensez mais représente pourtant la réalité : un adage largement repris par le même Jaco Van Dormael. Mélanger à l’envi deux influences proches de l’antinomisme permet aux cinéastes belges de cultiver une singularité qui fuit la culture de la catégorisation, nourrie une fois encore par cette formidable capacité à rire de soi-même. La misère sociale et humaine oui, mais sans misérabilisme.

La trivialité, oui, mais avec un regard artistique fort. C’est notamment le cas de La Vie sexuelle des belges 1950-1978, un film de Jan Bucquoy réalisé en 1994. Il retrace les tribulations sentimentales et professionnelles d’un jeune Belge de l’enfance à l’âge adulte, ponctuées de désastres personnels et de rencontres édifiantes, une vie tout ce qui est de plus banal pourtant, mais élargie à travers le prisme d’une lunette loufoque dans laquelle réalité, souvenirs et fantasmes s’emmêlent joyeusement.
Public français et cinéma belge : l’amour vache
« Le mélange de popularité, d’intellectualisme et de pipi-caca-prout du cinéma belge et de ses acteurs plaît par nature aux Français, qui vont finir par avoir du mal à s’en défendre. »

Il faut bien le dire : L’Histoire de Minna Claessens, le premier long-métrage belge considéré comme tel, fut réalisé en 1912 par un Français, le bien nommé Alfred Machin. Dur à avaler pour un pays qui supporte avec bonhomie les ricanements permanents de ses voisins hexagonaux. Bonhomie ? Un proverbe flamand du XIXe siècle note avec désinvolture : « Envoyez un âne à Paris, il n’en reviendra pas plus appris. » La bave des mauvaises langues n’atteint pas le Belge. Comme le précise J.C. dans Dikkenek : « Je sais que je ne plais pas à tout le monde, mais quand je vois à qui je ne plais pas, je me demande si ça me dérange vraiment. » Dikkenek, produit par Luc Besson, l’exemple typique d’un concentré de belgitude devenu monument sacré de la culture française. Les Français se moquent donc de la Belgique mais n’en plébiscitent pas moins son cinéma. Étrange. À moins que nous ne nous moquions si facilement des Belges uniquement par pudeur, dissimulant l’amour derrière l’insolence ?
cinéma belge
« Je n’ai jamais vu de Belge francophobe », déclare Benoît Poelvoorde à France-Soir à l’occasion de la sortie de Rien à déclarer de Dany Boon, avant d’ajouter : « Les Français sont bienveillants à notre égard. Dès qu’on dit qu’on est belge, on a la cote ici. » Voilà qui est dit. Le même Poelvoorde, à l’occasion d’une session « Caméra Subjective » organisée à la Sorbonne en 2007, estime que la différence entre les cinémas français et belge réside dans le caractère artisanal de ce dernier, lui assurant une plus grande liberté de ton et d’organisation. La fameuse tonalité belge, un humour unique apprécié par des Français séduits par la gouaille d’un François Damiens.

Hugues Serraf, chroniqueur chez Rue89, exprime ainsi ce phénomène : « De fait, il y a cent fois plus de dérision, de subversion ou de mordant (sic) dans cinq minutes de Vampires ou de Dikkenek que dans cinq heures de chroniques de Stéphane Guillon. » Ce n’est pas nous qui allons le contredire… Le marché français reste d’ailleurs le premier territoire d’exportation des films belges, en particulier francophones. Question de langue, mais pas seulement : les Belges se désintéressent royalement de leur propre cinéma, lui préférant l’humour gaulois.
L’amour mal dissimulé du public français pour le cinéma belge s’étend par ailleurs à ses comédiens, que beaucoup dotent de fait de la nationalité française, persuadés que leur talent ou leur popularité, conjugués à l’utilisation du français, ne peuvent que provenir de l’Hexagone. Olivier Gourmet et Yolande Moreau ne sont pourtant pas plus français que Matthias Schoenaerts n’est Hollandais. Émilie Dequenne, Cécile de France, Jérémy Régnier, Marie Gillain, Déborah François : autant de noms qui échappent à notre panthéon.
Le mélange de popularité, d’intellectualisme et de pipi-caca-prout du cinéma belge et de ses acteurs plaît donc par nature aux Français, qui vont finir par avoir du mal à s’en défendre. Car derrière ses grands airs chauvins, le Français n’aime rien tant que de pouvoir rire grassement aux dépens de la trivialité de l’existence, si tant est que cette existence soit analysable à l’aide de grands concepts politico-sociologico-sociaux qui trouvent aisément leur place au PMU du coin ou au moment de servir le fromage lors du déjeuner dominical. Mais l’avouer, ce serait tromper. Le public français n’aimera donc jamais autant le cinéma belge que lorsque celui-ci continuera à représenter une sorte d’interdit culturel du dernier chic : il assouvit avec sympathie notre besoin de resquiller et de critiquer. Vive la Belgique.
Le cinéma belge va-t-il garder la frite ?


cinéma belge
Malgré le caractère bien trempé de ses autres représentants, les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne portent souvent à eux seuls toute l’excellence du cinéma belge aux yeux du néophyte mal informé. Il faut dire qu’ils font partie des rares réalisateurs à avoir obtenu deux fois la Palme d’Or à Cannes, en 1999 avec Rosetta et en 2005 avec L’Enfant. Leurs autres films, La Promesse, Le Fils, Le Silence de Lorna et Le Gamin au vélo ont également tous connu des succès internationaux retentissants. Un parcours exceptionnel qui hisse la Belgique sur le tapis rouge, consolidé l’année dernière avec la nomination de Bullhead pour l’Oscar du meilleur film étranger et l’obtention du César du meilleur espoir masculin pour son interprète principal, Matthias Schoenaerts. Une liste non exhaustive précédée par les films historiques de Gérard CorbiauLe Roi danse et Farinelli, les chouchous des Américains, fanas de reconstitutions costumées.

Le cinéma belge, un clochard snob qui boit de la bière en canettes mais ne dépare pas sur la Croisette. Un risque de dénaturation de son esprit indépendant ? Car certains mécontents pointent également du doigt le mécanisme financier du tax shelter, une incitation fiscale à investir dans le cinéma sur le territoire belge créée en 2004, dont la dictature à coups de biftons risquerait paraît-il de pasteuriser les productions nationales. La menace pointerait même à l’intérieur de la communauté cinéaste de Belgique, dont certains membres pourraient être tentés de transformer l’essence de leur inspiration artistique en un gimmick commercial lassant. Inquiets? On vous engage fortement à aller voir Le Grand’Tour, Un very Belge Trip, et à réaliser un petit jeu des 7 différences avec le Very Bad Trip sauce américaine, histoire d’évaluer le potentiel destructeur de cette menace.
Public, ne crains donc rien ! À l’heure où la crise fait plus de ravages que jamais, que l’alcoolisme débute au berceau, que la météo s’emballe et que les extrémistes se renvoient la balle, les cinéastes belges ont encore de longues et belles années de triste réalité sur lesquelles s’appuyer. C’est là que réside tout l’intérêt de produire du rêve à partir de la merde : la matière première ne se tarit jamais.

Boîte noire

  • Ricaner avec Les Carnets de Monsieur Manatane de Benoît Poelvoorde et Pascal Le Brun ;
  • compléter par quelques épisodes de l’émission Strip-tease ;
  • regarder une leçon de cinéma des frères Dardenne ;
  • écouter l’émission de France Inter « On aura tout vu » du 12 mai 2012 sur le cinéma belge ;
  • lire ou feuilleter le livre Big memory de Richard Olivier sur les cinéastes de Belgique ;
  • approfondir sa connaissance du tax shelter, le système de financement du cinéma belge.

[Source : www.ragemag.fr]

Sem comentários:

Enviar um comentário