Depuis plusieurs semaines, les questions de la numérisation à
la BnF tournent principalement autour des oeuvres indisponibles et du
fameux registre ReLIRE, constitué d'une liste de 59.754 oeuvres
indisponibles du XXe siècle. Mais l'établissement public a également
passé des accords, dans le cadre des partenariats public/privé, avec la
firme Proquest, pour la numérisation d'oeuvres du domaine public. Et
rappelons que ces documents doivent ensuite être commercialisés sous la forme de bases de données, principalement aux bibliothèques.
Bruno Racine avec François Hollande, lors de l'inauguration du Salon du livre de Paris |
Sur ce dernier point, outre que l'on marche sur la tête en se disant
que l'Etat va financer d'un côté la numérisation, et de l'autre l'achat
du produit numérisé, avec un double intermédiaire supplémentaire dans ce
cas de figure, la situation n'est pas tout à fait claire. Pour l'heure,
tout ce que les établissements publics de prêt peuvent apprendre, c'est
: « Pour chaque Collection, ProQuest accordera à tout client
français une remise sur le tarif de la licence proportionnelle au
contenu BnF » (point 8). Mais nous avons déjà eu l'occasion d'examiner ce point.
Petit rappel logistique des conditions de numérisation
Pour mieux comprendre le processus de numérisation à la BnF, il faut savoir qu'il existe plusieurs modalités aujourd'hui :
- L'atelier interne : porté sur le qualitatif, mais peu productif
- Les prestataires directs : orientés vers le marché de masse, jouant sur un équilibre entre qualité et productivité (Jouve, Numen)
- On peut également distinguer sur ce point, l'autre type de prestataire, qui se charge des collections spécialisées (Azentis) - où la qualité est primordiale
- Les partenariats : on y retrouve les sous-traitants des partenaires, avec une perspective moins qualitative et plus productive.
Dans le cas de la numérisation des oeuvres du domaine public, nous
retrouvons la logique partenariale, où BnF Partenariats et Proquest
passent un accord, type PPP - et où Numen devient sous-traitant de
Proquest. C'est d'ailleurs une activité régulière de la firme :
Du côté des marchés publics, Numen développe des projets dans le cadre des partenariats public/privé. Numen a gagné les marchés de différentes institutions européennes, le Journal Officiel, la BnF (numérisation des archives), ProQuest, et l'INSEE (exploitation de données) ou encore le ministère des Finances et du Budget. (voir)
Triangulation des Bermudes : BnF Partenariats, Proquestion, Numen
On comprend bien que dans ce dernier cas, les échanges et les
communications sont bien moins rapides, ou efficaces. Actuellement, la
BnF traite avec les prestataires, et des ateliers de numérisation sont
installés dans l'établissement : la communication est directe. Pour le
domaine public, on multiplie les intermédiaires à foison. Ainsi, la BnF
sollicite BnF Partenariats, qui transmet - obligatoirement en anglais - à
Proquest, avant que ce denier ne transmette à Numen. Le tout transitant
par Londres, puisque Proquest n'a pas d'antenne en France.
Tout conservateur soucieux de donner une directive technique... peut
toujours rêver pour qu'elle soit entendue - et écoutée, c'est une autre
paire de manche.
Mais les difficultés de cet accord ne font que commencer. Si jusqu'à
présent, les questions financières et morales se posaient principalement
- quel intérêt que de faire payer l'État deux fois, et comment peut-on
confisquer le domaine public pour le rentabiliser de la sorte ? -
ActuaLitté a obtenu de nouvelles informations particulièrement
troublantes. Non seulement la numérisation s'effectue dans des
conditions nuisibles aux ouvrages, mais cette absence de qualité a de
sérieuses conséquences financières sur le projet.
Le Bulletin officiel des annonces de marchés publics montre d'ailleurs l'avis d'attribution pour le matériel de la BnF.
Tolbiac, une scène de crime ?
Cette numérisation, réalisée sur le site de Tolbiac, ainsi que nous
avons pu le découvrir, a bel et bien recours à des appareils qui ne sont
pas adaptés à ce marché de numérisation - et moins encore aux ouvrages
anciens, parfois rares, mais dans tous les cas fragiles. Selon des
informations, les services de numérisation de la BnF, qui ont une
expertise et une connaissance réelle dans ce domaine, n'auraient pas eu
leur mot à dire. Ainsi, l'opérateur Numen, qui a refusé de répondre à
ActuaLitté, se sert bien de scanners ATIZ BookDrive Mini, un matériel de
moyenne gamme, qui ne peut pas convenir à une numérisation patrimoniale
si spécifique.
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Le colonel Moutarde, dans la bibliothèque, avec un ATIZ BookDrive Mini |
On retrouve également sur ce document officiel de présentation la présentation du matériel utilisé. C'est bien l'Atiz Bookdrive spécialement conçu pour « les petits volumes
». Cette information nous avait été confirmée par différents
interlocuteurs de la BnF, dont il faut aujourd'hui souligner le
véritable régime de terreur qui règne. Ce n'est que du bout des lèvres
que l'on nous avoue que, peut-être, ces modèles de scanners ne sont pas
les plus adaptés à une numérisation d'ouvrages précieux et fragiles.
Pourtant, c'est ceux qui ont été choisis, avec les risques que l'on
imagine pour les ouvrages.
Comment Numen ATIZ la curiosité
La présence de ces scanners pose un réel souci : d'abord le
partenaire chargé de la numérisation, à ses frais, avec une contribution
de la BnF, se rémunère sur la vente des images, de publicité ou de
contenus éditoriaux. Mais le véritable problème vient de ce que les
scanners utilisés ne sont tout bonnement pas adaptés à la numérisation
des oeuvres. Tolérables pour des marchés de masse, les livres anciens ne
supporteront pas ou très mal, ces appareils. Or, Numen, qui se sert de
ces ATIZ BookDrive Mini mettrait en péril le fonds patrimonial, si ces
scanners devaient servir pour la numérisation.
Or, c'est bien le cas. La BnF préconise pour ses ateliers et pour les
prestataires sur site une numérisation à 90°. Cependant, le matériel de
Numen propose un angle fixe de 100°, pas moins. Cette ouverture fixe
est une contrainte importante pour les livres et va endommager
irrémédiablement beaucoup d'ouvrages.
Un spécialiste nous a fourni quelques détails :
Le système de vitre qui aplanit et immobilise les pages va contraindre trop fortement les livres. L'opérateur est obligé d'appuyer très fort pour forcer le livre à s'ouvrir. Ce qui peut s'avérer très dangereux pour les ouvrages fragiles et anciens qui ne pourraient pas résister à cette pression. De plus, ce dispositif ne garantit pas d'obtenir l'ensemble de l'information présente sur les pages, notamment le texte dans le fond du cahier.
Et une autre source de confirmer :
Les plaques de verre des scanners de qualité écrasent les reliures des livres parce que les opérateurs n'ont pas la possibilité de régler l'intensité de la pression.
Une qualité moyenne... pleinement assumée ?
En outre, la qualité des couleurs risque de ne pas être respectée,
les scanners n'étant pas en mesure de travailler correctement. Et si les
standards BnF n'acceptent d'ordinaire pas ces défauts, ici, les images
pourraient bien être tout simplement défectueuses. Si l'objectif de
reproduction à l'identique ou quasi est au coeur du projet, il
semblerait que l'on n'y réponde pas tout à fait.
Chose intéressante, la BnF, un peu malgré elle, nous a confirmé que
les scanners étaient bien des BookDrive Mini, et que leur qualité de
numérisation était moyenne. Chose plus délicate à supporter, les
fichiers seraient envoyés à Madagascar, pour un traitement des
métadonnées. Et pour justifier tout cela, on nous explique que la
qualité sera certes moins bonne, mais qu'il s'agit d'une production
semi-industrielle. Qui devrait donc tout justifier.
À ce jour, les directeurs de la réserve ne seraient pas des plus
enthousiastes, mais Numen refuse toujours soit de nous répondre, soit de
prendre en compte leur avis. La conservation elle-même n'aurait pas son
mot à dire, puisque Numen ne travaillerait que sur les consignes de
Proquest.
Nous reviendrons dans un prochain article sur les motivations
commerciales qui semblent présider l'ensemble de cet exercice de
numérisation...
Écrit par Nicolas Gary
[Source : www.actualitte.com]
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