Une loi récente oblige les administrations brésiliennes à rendre publiques les rémunérations de leurs agents. Cette opération “transparence” a révélé des disparités criantes.
Par Sylvain Henry
“Une honte totale et absolue !” Gil Castello Branco, président d’une institution chargée de contrôler les administrations publiques du Brésil, n’a pas mâché ses mots, en découvrant les incroyables distorsions salariales au sein de la bureaucratie de ce pays comptant quelque 9 millions d’agents publics. Les révélations se multiplient depuis plusieurs mois sur les sommes folles perçues par certains fonctionnaires : une aide-soignante de la municipalité de São Paulo rétribuée 7 000 euros par mois, plus de 17 000 euros pour un ingénieur des autoroutes, des hauts fonctionnaires payés plusieurs dizaines de milliers d’euros mensuels… Et ce ne sont que quelques-uns des salaires astronomiques dévoilés depuis l’entrée en vigueur, l’année dernière, d’une loi sur la transparence des données publiques.
Le texte, qui contraint les administrations à rendre publics les salaires de leurs agents, renforce une précédente loi de 2009, qui obligeait les institutions à publier le détail de leurs dépenses. L’opération transparence est donc lancée et après avoir renâclé, administrations et collectivités locales n’ont plus le choix malgré les réserves de certains syndicats qui évoquent des menaces d’enlèvements pour ces employés aux “supersalaires”. La promesse de la Présidente Dilma Rousseff (photo) de mettre en ligne tous les salaires du secteur public intervient alors que la croissance ralentie de l’économie brésilienne a conduit le gouvernement à durcir le ton vis-à-vis des agents.
Dilma Rousseff n’a rien cédé
La Présidente n’a ainsi rien cédé ou presque, à l’automne dernier, lorsqu’une grève initiée par les professeurs d’université a bloqué pendant plusieurs semaines les services publics du pays. Les fonctionnaires demandaient jusqu’à 50 % de hausse de salaires ? Ils n’en recevront que 15 % répartis sur trois ans. La Confédération nationale des travailleurs du service public fédéral, l’une des principales organisations syndicales, a signé du bout du stylo en exigeant en retour d’intensifier la chasse aux inégalités. “Il est indispensable de continuer à corriger certaines dérives”, a prévenu la Confédération. Le gouvernement s’y attelle.
Comment justifier des disparités aussi criantes entre la très grande majorité des agents publics, payés en moyenne 1 000 euros par mois, et quelques milliers de privilégiés ? D’autant plus que la Constitution brésilienne établit les salaires des juges de la Cour suprême – environ 11 000 euros par mois – comme la plus haute rémunération que peut percevoir un agent public. À en croire une enquête des influents journaux O Estadao de Sao Paulo, Correio braziliense et du site Congresso em Foco, ce seraient près de 4 000 fonctionnaires, magistrats et hommes politiques qui toucheraient un salaire supérieur.
Il faut dire que les “maharadjas”, le surnom donné aux fonctionnaires surrémunérés, peuvent s’appuyer sur une batterie de dispositions leur permettant de contourner le plafond constitutionnel. En plus de leur traitement de base, les agents bénéficient souvent de généreuses indemnités pour leur logement, leurs repas ou leurs transports. Un vieux règlement des années 1950 permet également aux salariés de la sphère publique de prendre un congé de trois mois tous les cinq ans. Beaucoup préfèrent renoncer à leurs vacances et demandent en retour une compensation financière.
Dérives flagrantes
Dans certains ministères, les dérives sont flagrantes : des primes de 20 000 euros annuelles pour l’achat de costumes, des bonus de 6 000 euros mensuels pour siéger aux conseils d’administration d’entreprises d’État ou des allocations exceptionnelles pour “couvrir le coût de la vie”. Plusieurs parlementaires ont par ailleurs été contraints de s’expliquer sur certains recrutements financés par de l’argent public : jardiniers, employés de maison, secrétaires personnels, etc.
Autant d’écarts que l’opération “transparence” du gouvernement brésilien devrait contribuer à limiter. Pour Dilma Rousseff, c’est aussi une manière de prendre à témoin l’opinion publique pour justifier sa fermeté lors des négociations salariales avec les syndicats de fonctionnaires. Ou comment dénoncer les rémunérations, primes et autres indemnités incongrues de quelques-uns pour maintenir la pression sur les salaires de l’ensemble des agents publics.
Pourquoi pas en France ?
Rendre publics, comme au Brésil, les salaires des fonctionnaires français paraît aujourd’hui impossible en France. Le député socialiste René Dosière, grand spécialiste des dépenses publiques, avait dû batailler pour obtenir en 2010 les grilles de salaires des collaborateurs directs des ministres. Le Journal officiel avait alors pour la première fois publié la moyenne des plus grosses rémunérations des membres de cabinet. Un premier pas. Dans la haute administration, le mystère est bien gardé sur les salaires des directeurs, dont le traitement et les indemnités restent toutefois très encadrés. Des dérives telles que celles constatées au Brésil semblent difficilement concevables tant les gendarmes – Cour des comptes, syndicats, commissions parlementaires, médias… – sont vigilants. Au Royaume-Uni, le détail des rémunérations des fonctionnaires apparaît dans les rapports annuels des ministères présentés au Parlement. Des informations auxquelles les sénateurs et députés français n’ont, eux, pas accès.
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[Photo : CHAMUSSY/SIPA - source : www.acteurspublics.com]
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