terça-feira, 1 de novembro de 2022

Allemagne : une exposition revient sur l'histoire du plus grand camp de prisonniers français

Il s’agissait du plus grand camp de prisonniers français à Berlin durant la Deuxième Guerre mondiale. Et pourtant, il était tombé dans l’oubli. Ses dernières traces devaient disparaître à jamais avec le lancement d’un énorme projet immobilier. Mais des initiatives citoyennes se sont mobilisées pour que l’histoire ne soit pas effacée à jamais. Une exposition « Le passé, on oublie ? » consacrée à ce camp vient de s’ouvrir à Berlin.

                                       Prisonniers de guerre français lors d’une distribution de nourriture, 1940. CICR

Écrit par Pascal Thibaut

Joseph Baby a 22 ans lorsqu’il est mobilisé en 1939. Le jeune Français est fait prisonnier de guerre après la défaite de la France quelques mois plus tard. Il arrive au camp de Lichterfelde, au sud de Berlin, en août 1940 ; il porte le matricule 28 468. Au total, 1,8 million de Français seront prisonniers durant la guerre en Allemagne. Les Soviétiques seront trois fois plus nombreux et devront endurer des conditions bien plus dures. Les jeunes Allemands sont au front ; la main d’œuvre des pays occupés doit permettre à l’industrie germanique de tourner.

Joseph Baby restera cinq ans dans la capitale du IIIᵉ Reich où d’innombrables camps de prisonniers et de travailleurs forcés sont créés. Il rentre en France durant l’été 1945 et ne parlera quasiment jamais de ces années à Berlin.


                                         Prisonniers de guerre français au camp de Lichterfelde, 1940. CICR

Les anciens prisonniers ne parlent pas forcément de leur passé en Allemagne. Le pays tourne la page. L’armée américaine utilise le site de l’ancien camp pour un centre d’entraînement et rase ce qu’il en reste dans les années 1990. Des petites entreprises utilisent d’anciens bâtiments du camp. Depuis les années 1950, des soldats français stationnés à Berlin-Ouest rendent hommage à leurs 400 camarades morts en détention durant la guerre dans la capitale allemande. Leurs restes sont transférés vers la France.

C’est très tard, il y a cinq ans, que des initiatives citoyennes, engagées dans le travail de mémoire dans cette partie de Berlin, effectuent des démarches pour sauvegarder le site après son rachat par un investisseur qui prévoit un vaste projet immobilier de 2 500 logements. L’engagement de ces groupes auprès de l’entreprise et de l’arrondissement permet de trouver un compromis : deux bâtiments de l’ancien camp seront sauvegardés. L’un d’eux sera utilisé dans les prochaines années comme centre de rencontre pour la jeunesse ; le second deviendra un lieu de mémoire rappelant l’existence du camp de prisonniers français.

                              La caserne Landweg 35a sera préservée, un mémorial doit être construit ici. © Antonia Weiße/Dokumentationszentrum NS-Zwangsarbeit frei.

Thomas Schleissing-Niggemann dirige l’une des initiatives sur place. L’engagement de l’infatigable septuagénaire est intimement lié à son histoire familiale : « Mon père était membre du parti nazi et de l’organisation Todt. Ma propre biographie est liée à l’histoire avec un grand H. Je m’engage pour que ce sombre passé ne soit pas oublié. Le travail de mémoire reste central ».

Lors du vernissage de l’exposition « Le passé, on oublie ? », Thomas Schleissing-Niggemann a interpellé l’adjoint au maire à la Culture de la ville de Berlin présent, lui déclarant « Adoptez cet enfant. Faites en sorte que notre engagement pour conserver cette mémoire ne reste pas un feu de paille ». Une fois le projet immobilier réalisé, il faudra savoir qui gère ce lieu de mémoire et avec quels moyens.

Agnès Tanière, la fille du prisonnier de guerre Joseph Baby, a pu rencontrer ceux qui ont permis au camp de ne pas être oublié, et qui contribuent quelque part à ce que le passé de son père ne disparaisse pas : « J’ai été très émue d’apprendre que ces personnes s’étaient engagées pour que la mémoire du camp ne disparaisse pas. Ça réchauffe le cœur de voir qu’elles éprouvent une responsabilité devant l’histoire ; elles ont compris la souffrance de tous ces prisonniers qui étaient dans ces camps ».

L’exposition temporaire, lancée et hébergée par le Centre de documentation sur le travail forcé sous le IIIᵉ Reich et visible jusqu’à fin mai 2023, se veut aussi un moyen de rendre cette redécouverte publique et de contribuer à pérenniser un projet encore balbutiant.

Exposition sur l'ouverture du camp de Lichterfelde avec le sénateur pour la Culture Klaus Lederer et Christine Glauning, responsable du centre de documentation NS-Zwangsarbeit. © Andreas Schoelzel/Dokumentationszentrum NS-Zwangsarbeit frei.

L’exposition présente la vie des prisonniers dont les conditions de vie ont été perçues comme décentes lors de premières inspections de la Croix Rouge. Elles se détériorèrent par la suite. Les détenus travaillaient dans des entreprises ou déblayaient les dégâts causés par les bombardements alliés. Ils disposaient au sein du camp de leur logement sommaire, mais aussi d’une bibliothèque. Des cours furent organisés ainsi que des performances théâtrales. René Duverger, ancien champion olympique en haltérophilie, participa aux activités de cette troupe. Le magazine « Matricule X » aura environ 50 numéros entre 1941 et 1945. La publication réalisée par les prisonniers était soumise à une étroite censure et reprenait à son compte la propagande collaborationniste du régime de Vichy.

Des artistes français firent le déplacement pour « remonter le moral des troupes », comme Edith Piaf, qui chanta devant des prisonniers de guerre en Allemagne, également à Berlin à deux reprises. On la voit dans l’exposition sur une photo avec d’autres artistes au pied de la porte de Brandebourg. Après la guerre, l’artiste pourra prouver que ses voyages en Allemagne avaient été utilisés pour aider des prisonniers à s’évader.

Agnès Tanière aura sans doute beaucoup appris à travers les recherches des historiens sur le camp où fut interné son père et sur sa vie quotidienne à Berlin entre 1940 et 1945. La fille de Joseph Baby avait déjà en amont découvert, après la mort de son père, une centaine de lettres que ce dernier avait rédigées durant sa captivité. « Lorsque j’ai lu la première, j’ai dû m’interrompre et pleurer. C’était vraiment trop dur de découvrir ce passé dont il n’avait jamais parlé ».

Agnès Tanière, fille de l'ancien prisonnier de guerre français Joseph Baby © Andreas Schoelzel/Centre de documentation sur le travail forcé NS.


 

[Source : www.rfi.fr]

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