Pour l'hebdomadaire britannique The Economist, les responsables
du pessimisme et de l'amertume ambiante en France sont à chercher du
côté de ses grands écrivains. Les Anglais appellent cela notre «mal
culturel».
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Victor Hugo et son «bonheur d'être triste» |
Écrit par Mathieu Rollinger
Si les Français ont le cafard, c'est la faute à Voltaire. S'ils sont moroses, c'est la faute à Rousseau.
De l'autre côté de la Manche et de l'Atlantique, les Français sont
catalogués comme des personnes portant sur leurs épaules toute la misère
du monde. Plusieurs articles de la presse anglo-saxonne se sont déjà inquiétés de l'état moral des Frenchies. Mais cette fois, The Economist pense avoir décelé un élément d'explication à ce spleen généralisé, dans un article titré «Bleak chic», littéralement le chic maussade.
Quelques
indicateurs statistiques plus ou moins fiables - le bonheur est un
concept difficile à mesurer - confirment ce stéréotype qui nous colle à
la peau. Plus déprimé qu'un Ouzbek, plus pessimiste qu'un Albanais,
aussi malheureux qu'un Grec, le Français moyen ne semble pas heureux
alors qu'il vit dans un pays développé et moins touché que d'autres par
la crise économique. Le taux de suicide dans l'Hexagone est le plus élevé d'Europe occidentale après la Belgique. Le journal britannique en déduit que cette fatalité contagieuse est ancrée dans les gènes des Français comme un mal culturel.
La tradition du misérabilisme
Pour The Economist,
si le concept de la tristesse est culturel, on devrait forcément en
trouver des traces dans la littérature. Le champ lexical autour de cette
notion est d'ailleurs prolifique: anomie, désolation, aigreur, bourdon,
désenchatement, morosité, spleen, etc. Mais surtout, les étagères de
nos bibliothèques sont remplies d'œuvres qui permettent de dérouler ces
«cinquante nuances de noir». Nos auteurs les plus illustres broient du
noir, ce qui instaurerait une certaine tradition du pessimisme.
Une coutume qui remonte au XVIIe siècle, avec René Descartes qui institue le doute comme premier réflexe de tout bon philosophe. Et il n'est pas le seul responsable. Chez les Lumières, Voltaire se moque allègrement de l'optimisme de son personnage Candide. Chateaubriand dans René caractérise «le mal du siècle» vécu par cette jeunesse «misérable, stérile et désenchantée». Le poème Melancholia, où Victor Hugo évoque
le «bonheur d'être triste», en étant intégré aux programmes scolaires,
habitueraient les élèves français à trouver une beauté artistique dans
ces mornes sentiments.
La Pléiade du noir
Les exemples de ce types de manquent pas. Difficile de parler de Charles Baudelaire sans
évoquer son spleen, sujet central de plusieurs de ses poèmes. Ce même
Baudelaire qui dans ses correspondances avec sa mère écrit: «Ce que je
sens, c'est un immense découragement, une sensation d'isolement
insupportable, une peur perpétuelle d'un malheur vague, une défiance
complète de mes forces, une absence totale de désirs, une impossibilité
de trouver un amusement quelconque». Une ode à la joie de vivre.
n'est-ce pas?
Albert Camus et Jean-Paul Sartre auraient «adopté l'ennui comme un mode de vie et philosophique». Françoise Sagan a intitulé son premier roman Bonjour tristesse,
qu'elle ouvre avec cette complainte: «Sur ce sentiment inconnu dont
l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom
grave de tristesse». L'article cite également «les personnages de Michel Houellebecq qui
mènent invariablement une existence vide, souvent sordide, et sont
toujours déçus». Tous ces auteurs, chéris par les lecteurs français,
participeraient à la vaste institutionnalisation de la culture de la
morosité.
La déprime comme force créative
Pourtant, derrière ce lourd diagnostic, on pourrait trouver des vertus à ce pessimisme ambiant. Pour The Economist,
«cette négativité a stimulé la créativité française». Le scepticisme et
le refus de l'autosatisfaction aurait permis l'innovation culturelle.
«Ce pays trouverait un certain plaisir à être malheureux», résume
l'économiste française Claudia Senik. Ce qui fait dire à l'hebdomadaire
anglo-saxon: «La France aurait-elle offert l'existentialisme au monde si
Sartre avait été un joyeux luron?».
[Photo : Rue des Archives/Mondadori Portfolio/Rue des Arch - source : www.lefigaro.fr]
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