En 1991, l’arrivée des Juifs d’Ethiopie suscita un sentiment
quasi-mystique parmi la population israélienne. On assista à un immense
élan de solidarité, tout le monde se précipitant pour accueillir, donner
et partager. C’est ainsi que le petit Elhad, né le 25 mai entre
Addis-Abeba et Tel Aviv, fut parrainé par Betty et Yossi Crassac, un
couple d’Israéliens originaires de Marmande. Le nouveau-né, qui était le
onzième enfant d’une famille de Gondar, au nord de l’Ethiopie, vient de
finir l’armée et d’entrer dans la vie active1
L’exode des Juifs d’Ethiopie se fit en plusieurs étapes. Des hauts
plateaux de l’ancienne Abyssinie jusqu’au rivage de la Méditerranée, ils
furent environ 100 000 à fuir la famine, la guerre et les enlèvements,
pour accomplir leur rêve ancestral : partir pour Jérusalem, que les
Beta Israël (ou Falasha) appellent « Yerussalem ». Artisans et paysans,
ils durent abandonner précipitamment leurs chèvres et leurs outils pour
parcourir des centaines de kilomètres à pied, de nuit, dans des
montagnes qui leur étaient inconnues, bravant les bandits, la prison, la
maladie et la mort. Il y avait parmi eux beaucoup de femmes et
d’enfants (les garçons risquant la conscription à partir de douze ans).
Un cinquième de la population ne parvint pas au bout du voyage. Chaque
année, un grand rassemblement, le Sig’d, est l’occasion de commémorer
tous ces morts.
Les survivants attendirent un an, parfois deux, dans les camps
organisés par les Israéliens à Khartoum après d’âpres négociations avec
les Soudanais. L’opération Moïse, en 1984-1985, (dont s’inspire le film Va, vis, deviens,
de Radu Mihaileanu, sorti en 2005), permis le transfert de quelque 7000
Beta Israël en six semaines, dans le plus grand secret. Mais Khartoum
cédant à la pression des pays arabes, 500 personnes restèrent bloquées
dans les camps jusqu’à l’opération Josué, organisée par les Américains
quelques mois plus tard. Avec près des deux-tiers de la population juive
encore en Ethiopie, des enfants furent séparés des parents, devenant de
facto des « orphelins de circonstance » qui demeurèrent jusqu’en 1991
dans l’ignorance totale du sort de leurs proches. Les rebelles ayant
chassé Mengistu, Israël décida alors d’agir dans l’urgence. Le 24 mai
1991, 34 gros porteurs d’El Al et des Hercule C-130 se relayèrent
pendant 36 heures entre Addis Abeba et Tel Aviv pour transporter 14 400
personnes.
Arrivé trois semaines avant l’opération Salomon, Avraham Yitzhak
devint, neuf ans plus tard, le premier immigrant éthiopien à terminer
brillamment ses études de médecine à Beersheva. Depuis 2011, Rachamim
Elazar est ambassadeur israélien, et en 2013, Yityish (Titi) Aynaw a été
élue Miss Israël. Des chanteurs, des acteurs, des danseurs… Les voies
de l’intégration sont dures et impitoyables, mais pas plus en Israël
qu’ailleurs.
Or en 2013, deux affaires concernant les Juifs d’Ethiopie ont fait
les délices de la presse israélienne et internationale pour de mauvaises
raisons. Le 12 décembre dernier, le Magen David Adom, l’équivalent
israélien de la Croix Rouge, a refusé le sang d’une députée d’origine
éthiopienne. Scandale ! a crié d’une seule voix la presse, la classe
politique, et le bon peuple —imités par tous les médias de la planète
qui accusèrent immédiatement les services de santé de refuser ce sang
parce qu’il était « noir ». Or Pnina Tamano-Shata savait très bien que
son sang serait refusé. Cette jeune députée, qui appartient au même
parti politique que la ministre de la Santé Yael German, est membre de
la commission chargée d’établir de nouvelles règles sur le don du sang
des Éthiopiens. Deux raisons pour lesquelles elle ne pouvait ignorer que
son sang serait refusé conformément aux recommandations de l’OMS.
En effet, l’Organisation mondiale de la santé exclut du don de sang
plusieurs catégories, dont les personnes ayant fait des séjours
prolongés en Afrique (en raison notamment de l’éventualité d’un contact
avec une nouvelle variante de la souche du VIH), de même que celles
ayant séjourné en Grande-Bretagne et en Irlande durant l’épidémie de la
vache folle, etc. Au Canada, sont également exclues celles ayant reçu
une transfusion sanguine dans l’une de ces régions — une pratique
assez fréquente après un accouchement en Erythrée, par exemple. Pour sa
part, l’EFS, l’Établissement Français du Sang, précise : « Si l’EFS
pratique un dépistage systématique (VIH, hépatite B, hépatite C…) sur
tous les dons de sang, il existe cependant une période de plusieurs
jours suivant l’infection où les anticorps dirigés contre le virus ne
sont pas détectables. Pendant cette période, appelée « silencieuse » ou
encore « fenêtre sérologique », la personne infectée est porteuse du
virus (…) alors même que les tests de dépistage sont négatifs ».
Opération com réussie pour la députée jusque-là inconnue qui faisait
partie de la délégation israélienne aux funérailles de Mandela.
Signalons toutefois que seuls 4% des Français font don de leur sang.
Dommage pour la Croix Rouge.
Cette affaire de sang est donc un pétard mouillé, comme le
documentaire de Gal Gabay diffusé à la télévision israélienne en
décembre 2012 qui s’interrogeait sur la baisse de la natalité chez les
femmes éthiopiennes en Israël ces dix dernières années. Israël était
accusé de « stérilisation masquée » pour avoir administré à ces femmes
le Depo-Provera, un contraceptif utilisé couramment en Ethiopie et
renouvelable tous les trois mois. D’un usage plus simple et plus sûr
dans des conditions extrêmes, ce produit était destiné à limiter l’IVG,
qui est toujours quatre fois plus fréquente chez les femmes nées en
Ethiopie que chez celles nées en Israël. Contraception ou IVG ?
Certaines militantes éthiopiennes actives au sein des associations
féministes israéliennes devraient y réfléchir- — notamment celles de Isha l’Isha
(Femme pour Femme). Mais qu’il y ait des féministes chez les Juifs
d’Ethiopie prouve au moins que ces femmes veulent faire autre chose que
des enfants…
*Photo : ROSEN RICKI/SIPA. 00118396_000001.
- Voir À la découverte des Falasha, par Bernard Nantet et Edith Ochs, Payot, 1998. ↩
[Source : www.causeur.fr]
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