Voici d’abord quelques faits de référence qui vont servir de toile de fond à la décision de Correa.
30 juillet : sommet de l’ALBA à Quito.
3 août : Discours de Correa contre Chevron.
11 août : confirmation de la condamnation du député Pachakutik Pepe Acacho et son compagnon de lutte
Pedro Mashiant a 12 ans de prison, pour sabotage et terrorisme.
15 août : Correa annonce l’exploitation du pétrole en Amazonie.
Décision du gouvernement le 15 août
L’affaire
dure depuis 2007, quand Rafael Correa a lancé du haut de la tribune de
l’ONU une initiative pour
protéger le parc Yasuni, mais les sommes promises par la communauté
internationale n'ont pas été versées. Dans le cadre de cet accord,
l'Equateur renonçait à exploiter le parc Yasuni, dont les
réserves sont estimées à 800 millions de barils de brut, ce qui
représente environ 7,2 milliards de dollars (d’autres disent
aujourd’hui, 18 milliards). Le but était de préserver la grande
diversité de cette forêt et les populations indigènes. Le parc fait
partie du patrimoine mondial de l’UNESCO.
En
contrepartie, le gouvernement devait recevoir près de 3,6 milliards de
dollars, en 12 ans, de la communauté
internationale, soit environ la moitié de ce qui lui aurait rapporté
l'extraction du pétrole suivant l’estimation de l’époque, via le fonds
administré par les Nations Unies (PNUD).
Le
président équatorien vient de préciser qu'à l'heure actuelle le fonds
n'a été doté que de 18,3 millions de
dollars (0,3%) donnés par la Belgique, le Chili, la France,
l’Italie, l’Espagne et l’Indonésie. Dans un discours télévisé il a
indiqué :
« C’est
avec une profonde tristesse, mais aussi avec une absolue responsabilité
envers notre peuple et
notre histoire, que j’ai tenu à prendre la décision la plus
difficile de mon gouvernement, en mettant fin à l’initiative qui devait
éviter l’exploitation ».
« Cette décision nous désillusionne tous, mais elle est nécessaire. Nous ne pouvons attendre plus
longtemps, sans de graves conséquences pour le bien-être de notre peuple. L’histoire nous jugera. »
La Constitution impose normalement de demander l’avis aux populations, mais, pour des raisons d’intérêt
national, ce référendum n’aura pas lieu.
Après
les impôts, les bénéfices du pétrole constituent la deuxième entrée
financière du budget et pour le
président cette source risque, d’ici 10 ans, de manquer, d’autant
que les autres explorations pétrolifères n’ont rien donné. Pour rassurer
les populations, il est annoncé que les méthodes
d’exploitation seront faites avec les technologies les plus propres,
celles utilisées sur l’exploitation offshore du pétrole. Le premier
exploitant serait l’entreprise d’Etat Petroamazonas, mais
en fait depuis le 28 novembre 2012, c’est un appel à concessions
(21) qui a été lancé à toutes les grandes compagnies qui ont un an pour
se manifester.
Préparation de la décision
1 ) Campagne publicitaire : le slogan phare depuis des années est le suivant : « Le pétrole
donne vie à l’Amazonie ».
2 ) La juste dénonciation de Chevron-Texaco pour les dégâts commis entre 1964 et 1992. Le 10 août 2013, le
site le Grand soir, reprend l’argumentation d’une déclaration de Correa du 3 août : Chevron-Texaco : une firme
toxique. Action utile… si on a en vu le débat global.
3 ) Le soutien de l’ALBA. A en croire J-L Mélenchon présent à la rencontre de l’ALBA (voir son blog), le texte primitif n’était pas aux yeux de Correa assez dur, et il fut réécrit pour
arriver à ce point traduit dans l’article du Grand soir :
«
Nous assistons actuellement à l’apparition de nouvelles formes
d’exploitation, tels que les traités
bilatéraux de protection des investissements et le fonctionnement
d’instances d’arbitrage internationales comme le CIADI, outils qui
placent les intérêts du capital avant ceux de la société, de
la nature et de l’institutionnalisation démocratique elle-même, dans
le contexte de la prolifération de Traités de Libre Échange (TLC).
C’est par ces nouveaux mécanismes de domination que la
stabilité de nos pays est mise en danger -même leur solvabilité
économique - par des processus juridiques clairement entachés de nullité
par l’abus et collusion d’intérêts. Sans aucun doute, les
affaires d’Oxy et Chevron en Équateur constituent des exemples
patents de ces pratiques et c’est pour cela que nous exprimons notre
soutien à ce pays-frère lésé par ces affaires qui s’étendent à
d’autres pays avec des magnitudes différentes. Tout cela n’implique
pas le refus catégorique de l’Investissement Étranger Direct mais plutôt
une relation intelligente avec celui-ci, de telle
façon qu’il puisse être utilisé au bénéfice des nations et non
optimisé à leurs dépends. Pour cela, un mécanisme d’intégration comme
l’ALBA est indispensable. En tant que bloc nous pouvons
imposer les conditions, afin d’éviter que les intérêts du capital
priment sur ceux de la population”
4 ) La mise en place de la
répression. Ni les uns, ni les autres ne vous parleront de Pepe Acacho et son ami Pedro Mashiant. http://www.conaie.org/
En
2009, ces deux hommes participèrent, avec d’autres, au nom de la
CONAIE, l’organisation des indigènes, à
une lutte contre une loi sur l’eau qui visait sa privatisation
(depuis cette loi est toujours en attente) et un homme est mort. Les
deux condamnés sont accusés du meurtre alors qu’eux prétendent
que c’est une bavure de la police. Le procès a traîné, mais le 11
août la sentence est tombée : 12 ans de prison. Pepe Acacho est depuis
devenu député du parti indigène Pachakutik et
bénéficie de l’immunité parlementaire, mais les faits étant
antérieurs, elle ne compte pas.
En Equateur, la CONAIE a participé à d’immenses luttes faisant tomber deux présidents de la république et
défendant à chaque fois les intérêts du peuple tout entier, pourtant c’est la première condamnation à la prison.
Le
point de vue des opposants
Ce contexte vise à détruire par avance l’action des opposants qui s’appuie sur divers arguments :
1
) Sept tribus amérindiennes sont propriétaires légales et légitimes de
ces terres (elles possèdent des
titres fonciers officiellement reconnus). Et paradoxe de
l’histoire : l’Etat veut vendre quatre millions des hectares en
question, aux pétroliers !
D’un côté, grâce à Correa, l’Equateur a été le premier pays à inclure dans sa Constitution « les droits
de la terre mère » et de l’autre, voilà des terres vendues sans l’autorisation des propriétaires.
2 ) En juin dernier, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a jugé l'État coupable d'enfreindre les
droits fondamentaux des peuples autochtones par l'octroi de concessions pétrolières sur leurs terres.
3
) C’est la meilleure biodiversité au kilomètre carré de toute
l’Amazonie. Et vivent là 11 000 indigènes
quechuas et waranis qui ne pourront plus vivre car la pollution les
empêchera d’organiser leurs activités. Les dégâts causés par Chevron qui
a été condamné, vont se répéter.
4 ) Les opposants bénéficient d’un soutien populaire réel :
Conclusion :
Ce
problème n’a rien d’original en Amérique latine et il en recoupe bien
d’autres luttes. En son cœur, la
bataille pour l’eau car les conditions d’extraction nécessitent
aujourd’hui beaucoup d’eau. En conséquence toute la question et celle de
la répartition de l’eau. Pour l’extraction afin d’obtenir
des revenus redistribués avec plus de justice, ou pour l’agriculture
qui fait vivre les populations locales ? La différence entre un puits
de pétrole et l’agriculture c’est que l’un s’épuise
(et pour preuve l’argument comme quoi l’Equateur va manquer de
pétrole) et l’autre se renouvèle. Pour Correa, le refus du pétrole,
c’est un enfantillage. Pour les opposants c’est s’obliger à
chercher une autre forme de développement.
16 août 2013 Jean-Paul Damaggio
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