domingo, 11 de dezembro de 2016

Incroyable

Écrit par Bernard Gensane 

Alors que le verbe « porter » est mis à toutes les sauces par nos politiques, ce qui est très intéressant, idéologiquement parlant, un nouveau tic de langage est apparu il y a au moins un an dans nos médias neuneux et dans le langage publicitaire, l’utilisation, à tort et à travers, de l’adjectif « incroyable ».

Une des journalistes qui l’a le plus en bouche (mais pas avec son accent du sud-ouest qu’elle a soigneusement ravalé en montant à Paris) n’est autre que Marie-Sophie Lacarrau, la présentatrice du JT de 13 heures de France 2 (j’ai du mal à utiliser le terme journaliste en ce qui la concerne tant sa présentation du monde est nunuche, Jean-Pierrepernaudienne, clairechazalienne). Á noter que, comme beaucoup d’autres neuneux des médias (son collègue David Pujadas, par exemple), Marie-Sophie a définitivement (enfin, jusqu’à la prochaine mode) enterré l’expression multiséculaire « bon après-midi » au profit de « bel après-midi »). Mine de rien, ce petit changement est, lui aussi, idéologique : lorsque j’utilise l’adjectif «bon », c’est moi qui décide, qui suis maître de mon destin, qui ferai tout pour que l’année qui se profile soit « bonne ». Lorsque je dis « bel après-midi », « belle soirée », tout m’échappe, la suite est hors de ma volonté. Le soleil sera « beau » si, lui, en a décidé ainsi. Ça marche aussi avec les belles-mères. Elle sont belles, ces mères (comme les pères, les fils, les filles), parce que, quand autrefois on s’adressait à des personnes de qualité ou à des membres de la famille que l’on était censé admirer, on balançait un petit coup de déférence contrainte et d’affection convenue en utilisant cet adjectif : « mon biaus seigneur », « mon biaus frère ».

Mais revenons à « incroyable » puisque, désormais, tout l’est ou peut l’être : le tout-à-l’égout enfin installé, après trente années d'arguties administratives, à Chibre-sur-la-Motte, l’élection d’un milliardaire d’extrême droite aux États-Unis, la médaille de bronze (temps « canon », performance « stratosphérique ») de Christophe Lemaitre pour un millième de seconde, les 117 ans de la doyenne de l’humanité, la dernière prise de parole de Jean-Christophe Cambadélis (non, là, je me gausse), la possibilité de se baigner à Collioures en plein mois de novembre dans une eau à 14 degrés.





















Nous sommes dans l’idéologie parce que le monde est alors perçu sous l’unique prisme de la croyance, donc de la non-raison, de la subjectivité. Si, à la place d’«incroyable », j’utilise « invraisemblable », je me place alors sur le syntagme vrai/faux et je suis responsable – que j’ai raison ou non – de mon appréciation (avoir pensé qu’Hollande était socialiste relevait de l’invraisemblable). Si j’utilise «inconcevable », c’est que, en tant qu’être pensant, je ne peux pas concevoir : pour moi, par exemple, un trou noir est quelque chose d’inconcevable, voire d’inimaginable si je requiers, en plus de mes cellules grises, mon imaginaire).

À partir de là, la langue française, comme toutes les autres langues, possède un large éventail qui permet – en particulier à une titulaire d’une licence de lettres modernes comme notre Marie-Sophie nationale – la plus grande finesse dans la description  du monde qui nous entoure. Ainsi, un fait sera inouï si, parce qu’on n’a rien entendu jusqu’alors de la sorte, il nous déstabilise, s'il fait reculer les limites de notre entendement (des bombardements – et non des frappes – d’une violence inouïe). Un paysage ou un individu seront fantastiques si, pour les évaluer, les décrire, nous devons faire appel à notre imagination parce qu’il nous semble appartenir à une surnature. Une histoire sera rocambolesque si elle est pour nous invraisemblable, abracadabrantesque, avait écrit Rimbaud dans “Le Cœur supplicié”. Une nouvelle sera ébouriffante si elle vous surprend au point de mettre vos cheveux en désordre. « Étonnant » s’est franchement affadi et n’a plus grand-chose à entendre avec le tonnerre. «Extravagant» a une origine chrétienne : il s’agissait au départ des textes qui erraient hors du canon, qui n’avaient pas été insérés dans les recueils pontificaux. On a gardé l’idée de divagation hors du sens commun. Quelque chose de « fabuleux » tient évidemment de la fable, du mythe, de la légende. Est « phénoménal » (« tout ce qui apparaît de nouveau dans l'air, dans le ciel ») ce qui surprend nos sens telle une apparition. «Stupéfiant » était à l’origine très chargé car stupere signifie être engourdi, comme paralysé. Dans l’usage courant, le terme est aujourd’hui un peu plus fort que «surprenant ». L'incroyable Marie-Sophie pourrait enfin utiliser le mot « paradoxal », ce qui va à l’encontre de ce qui est communément admis, ce qui semble absurde mais qui est, pour finir (pardon : « au final »), avéré.










Et puis Marie-Sophie, David et les autres pourraient consulter un dictionnaire des synonymes. Ils y trouveraient : exorbitant, faramineux, impensable, inexprimable, prodigieux, renversant, unique et bien d’autres termes tous plus précis les uns que les autres.






[Source : bernard-gensane.over-blog.com]

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