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| Lors de l'assaut des brigades rapides d'intervention (BRI) pendant la prise d'otages dans un magasin casher près de la porte de Vincennes, le 9 janvier. | AFP/GABRIELLE CHATELAIN |
Écrit par Claude Lanzmannn (écrivain et cinéaste)
« Hyper casher » au fronton d’une grande surface juive de la porte de Vincennes ! Heureux comme Dieu en France ! Aucun doute : les chalands qui fréquentaient ce magasin considéraient l’emploi du mot « casher » non seulement comme un slogan publicitaire, mais comme une fière revendication identitaire dans un monde paisible.
Nul, malgré maints avertissements qui eussent dû ouvrir les yeux, n’envisageait cette proclamation comme une imprudence, la source d’un danger possible. Beaucoup verront là une manifestation de l’incurable optimisme juif : le temps des étoiles jaunes semblait à jamais révolu. Il y a aussi des boucheries halal dans certains quartiers de Paris, boulevard de la Chapelle, par exemple ; un Hyper halal, qui sait, mais les juifs respectent la déontologie commerciale et nul parmi eux n’imagina jamais devoir descendre à bout touchant les amateurs de bifteck halal.
Le 9 janvier pourtant, après plusieurs heures d’effroi et d’angoisse, le jaune fut éclaboussé de sang, comme il l’avait été l’avant-veille avec les douze morts et les blessés de Charlie Hebdo. La haine antijuive se démasquait avec une brutalité inouïe, sans fard ni alibi : « Mort aux juifs » cessait d’être un slogan tellement utilisé qu’il évacuait l’essentiel de son sens, à savoir la mort, pour, au contraire la requérir littéralement, l’administrer d’emblée, avant toute parole, comme si elle était le seul langage.
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| Claude Lanzmann, le 21 janvier 2014 à Tel Aviv. AFP PHOTO / JACK GUEZ | AFP |
Bêtise des tueurs
On tue d’abord, on parle après, on tue encore, meurtres entrecoupés de justifications débiles. L’antisémitisme, disait Sartre, n’est pas une opinion, c’est un crime. Nous sommes ici à l’acmé de l’antisémitisme : le crime nu. Et c’est la bêtise des tueurs qui sera, au bout du compte, la garantie de leur échec.
On a raison de dire que les victimes de Charlie Hebdo, Wolinski, Cabu, Charb, Tignous, Honoré, Oncle Bernard, Elsa Cayat, Michel Renaud, Mustapha Ourrad et Frédéric Boisseau, celles de l’Hyper Casher, Yohan Cohen, Yoav Hattab, Philippe Braham, François-Michel Saada et les trois policiers Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet et Clarissa Jean-Philippe sont morts en martyrs. Car leur mort est révoltante comme une exécution capitale et suscite la mobilisation spontanée, dans toutes les villes de France et dans de nombreuses capitales du monde, de millions de simples citoyens qui disent « NON ».
Et ces « non » ont un poids formidable qui fera mesurer aux tueurs leur sinistre solitude. La question n’est plus de savoir si les juifs de France doivent quitter leur pays de naissance ou d’accueil pour Israël – puisqu’on en parle – ou demeurer malgré les crimes. C’est Manuel Valls, le premier ministre, qui a raison : « La France sans les juifs de France ne sera plus la France. » Ne donnons pas à Hitler cette victoire posthume.
[Source : www.lemonde.fr]


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