Tout au long de l’histoire récente de l’Europe, 
l’antisémitisme a toujours côtoyé  l’homophobie et l’un était bien 
souvent le visage caché de l’autre. Ce qui est étonnant, c’est la 
fixité, l’immobilité et la monotonie des sempiternels clichés 
antisémites dont même le vocabulaire reste inchangé à travers les 
siècles. Le discours homophobe était souvent masqué et, en plus, 
discret. C’est ce que décrit avec précision la recherche de Chantal 
Meyer-Plantureux.
Chantal Meyer-Plantureux, Antisémitisme et homophobie. Clichés en scène et à l’écran. Préface de Pascal Ory. CNRS, 400 p., 25 €
Écrit par Georges-Arthur Goldschmidt
Les possibilités croissantes des communications tout au long du XIXe puis au début du XXe
 siècle ont mis au jour des tensions et des pesanteurs qui n’avaient pu 
s’exprimer que latéralement. On voit ainsi se répandre la jonction entre
 homophobie et antisémitisme. Dès le conflit entre Heinrich Heine et le 
comte von Platen (1835), on voit s’établir la réciprocité des 
accusations, l’un reprochant à l’autre d’être un poète homosexuel mièvre
 et l’autre d’être juif. Cette question prend de plus en plus 
d’importance du fait de la révolution freudienne qui voit se multiplier 
les recherches sur ce thème. À la suite de Freud, l’une des premières 
grandes enquêtes sur ce sujet fut menée par Magnus Hirschfeld dans son 
Institut de recherches sexuelles de In den Zelten à Berlin de 1919 à 1933. Dans Les marginaux, Hans Mayer revient longuement sur le croisement de ces thématiques.
En Allemagne, la tentation homosexuelle a
 toujours été très explicite – la puberté tardive donnait aux jeunes 
gens un aspect de virginité qui explique la nature particulière des 
mouvements de jeunesse allemands, du Wandervogel, par exemple, à
 la veille de la prise du pouvoir par les nazis en 1933. De plus, 
l’article 175 du code pénal punissait de prison les relations 
homosexuelles entre majeurs ; leur aspect délictueux donnait à leur 
expression artistique un aspect très tendu et grave (chez Stefan George 
et Thomas Mann, en particulier).
En France, si le refoulé et le non-dit 
étaient tout aussi puissants, la crainte de la répression policière ne 
se faisait guère sentir dans les classes privilégiées, du moins à Paris.
 D’assez nombreuses pièces de théâtre du début du  XXe siècle traitent l’un ou l’autre thème, sans les associer. C’est ce que décrit Chantal Meyer-Plantureux dans sa vaste étude Antisémitisme et homophobie. Clichés en scène et à l’écran, dont l’introduction commence par ces mots stupides de Paul Morand : « Pour les pédés comme pour les juifs ; quand on en connaît un, on les connaît tous. »
La naissance de « l’antisémitisme culturel » commence avec Wagner, vers 1850 avec son pamphlet Le judaïsme dans la musique, une des premières tentatives de racialisation de la critique d’art qui semble atteindre son apogée en ce début du XXe siècle. Antisémitisme et homophobie se côtoient, Décadence d’Albert Guinon est issu de La France juive (1888) de Drumont. Sarah Bernhard est victime d’attaques antisémites.
Beaucoup de noms célèbres à l’époque 
apparaissent tant dans cette analyse dense et précise que dans 
l’important appareil de notes. La table des matières à elle seule couvre
 toute l’histoire du XXe siècle. Tout au long du livre, à 
travers Henri Bernstein ou Henri de Rothschild d’un côté, Maurice Donnay
 ou Henri Lavedan du côté antisémite, on voit à quel point antisémitisme
 et homophobie sont des dérives de l’obsession répressive de la 
sexualité. Le vocabulaire est semblable et les accusations se 
complètent, ce qu’on impute aux juifs est aussi ce qu’on impute aux 
homosexuels. Gabriel Astruc, par exemple, créa en 1913 le théâtre des 
Champs-Élysées et produisit les ballets de Nijinsky et Le sacre du printemps de Stravinsky. Il fut l’objet, de la part de Léon Daudet,
 d’attaques antisémites si banales et si virulentes qu’elles suffisent à
 les résumer toutes. Le réflexe antisémite typologique se retrouve 
jusque chez Jean-Paul Sartre.
C’est l’Occupation qui, en fin de 
compte, révélera la vraie nature des différents auteurs, cinéastes et 
acteurs car désormais il s’agit, et finalement il ne s’était jamais agi 
d’autre chose, pour ce qui est des juifs, de vie et de mort. Le portrait
 acéré et, comme on aime à dire, « féroce » du financier David Golder 
tracé par Irène Némirovsky,
 morte à Auschwitz en 1942, n’est en rien antisémite. Il ne faut pas se 
tromper sur la nature des choses. L’ambiguïté d’un Charles Dullin ou 
celle qu’incarne sur scène le grand acteur Dalio (La règle du jeu) expose, surtout entre 1940 et 1944, à des risques moraux évidents.
Les homosexuels depuis le Moyen Âge, à 
l’exception de la période du nazisme, ne risquaient pas la mort par 
principe contrairement aux juifs, auxquels l’antisémitisme fait courir la
 menace extrême. Quant au cinéma, on connaît Le dernier métro, 
ce film  de François Truffaut (1980) où Jean Marais (incarné par Gérard 
Depardieu) gifle en pleine rue le critique de théâtre nazi et 
collaborateur Alain Laubreaux. Cette scène illustre très bien ce qui est
 au centre même de ce beau travail de Chantal Meyer-Plantureux, qu’il 
serait vain, tant la richesse documentaire en est grande, de tenter de 
résumer. C’est un tableau parlant de la France du XXe siècle.
[Source : www.en-attendant-nadeau.fr]


 
 
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