Une enquête publiée par le
ministère de l'Éducation nationale révèle que les élèves français en fin
de scolarité ont un niveau plus faible en langues étrangères que les
élèves des autres pays européens. Toutefois, ils tirent leur épingle du
jeu en espagnol, affichant de bien meilleurs résultats qu'en anglais.
Atlantico : Une enquête réalisée par le ministère de l'Éducation nationale sur les compétences linguistiques montre que le niveau général en langues des élèves français est plus faible que celui de leurs homologues européens. Quand on se penche de plus près sur l’enquête, on constate que les Français sont meilleurs en espagnol qu’en anglais. Comment l’expliquer ?
Claude Hagège : Le fait que l’anglais leur soit moins accessible que l’espagnol peut s’expliquer par trois raisons.
D’une part, le français est une langue à vocation mondiale plus que toutes les autres langues de l’Europe,
sauf l’anglais. Il vient en deuxième position en degré de diffusion
mondiale, certes très loin derrière l’anglais. Il est parlé sur les cinq
continents, et par conséquent cette présence du français dans de
nombreux pays pourrait être l’une des raisons pour lesquelles les
élèves, conscients de la chose, investiraient peut-être moins d’efforts
dans l’apprentissage de langues étrangères. Il ne faut pas oublier que
le français est beaucoup plus diffusé à l’échelle mondiale que
l’espagnol, même si en volume de locuteurs, il est moins parlé. Le
critère adopté ici n'est évidemment pas le nombre de locuteurs (selon ce
critère, le français viendrait en dixième ou onzième position dans le
monde), mais le degré de diffusion.
La deuxième raison est d’ordre phonétique. L’anglais est une langue phonétiquement très difficile, beaucoup plus que l’espagnol.
Les voyelles sont d’une grande complexité, les consonnes moins, mais
les diphthongues (type de voyelles qui changent de timbre en cours
d’émission) le sont aussi très fortement. L’espagnol est beaucoup plus
familier, car c’est une langue romane. Malgré l’existence de l’accent
tonique sur certaines syllabes, contrairement au français qui n’a aucun
accent tonique sauf sur la dernière syllabe, les voyelles sont claires
et simples, elles ne changent jamais de timbres en cours d’émission, et
donc l'espagnol ne présente pas les énormes difficultés phonétiques de
l’anglais.
Troisième raison, l’anglais,
contrairement à sa réputation, est aussi une langue très difficile sur
les plans autres que phonétiques. Il a une morphologie simple, si on
entend par là l'absence de déclinaison des noms et la relative
simplicité de la conjugaison des verbes (sauf pour les verbes forts dits
irréguliers). Mais si on parle des expressions comme celles qui ont des
adverbes à la suite de verbes et qui en changent totalement le sens, à
ce moment-là, la langue devient très difficile. Par exemple, « to call
someone out » signifie « mettre quelqu’un dehors » et analysé mot à mot,
« dire quelqu’un hors de ». Ce n’est plus compréhensible. Autre
exemple, « to do someone in » ou « to do someone on », littéralement «
faire quelqu’un dedans » ou « faire quelqu’un sur », signifie en fait
« tuer ». Dans ces cas-là, le sens n’est absolument pas déductible de
l’analyse des éléments constituants.
Contrairement
à sa réputation, l’anglais est une langue difficile, tant du point de
vue phonétique que de l’orthographe, qui est profondément illogique. Ce n’est pas une langue romane comme l’espagnol, c’est une langue germanique.
Les compétences en espagnol des élèves français peuvent-elles aussi s’expliquer par une proximité géographique et culturelle avec l’Espagne ?
Les Français ont, avec les Espagnols, une plus grande familiarité, du fait de leur culture latine commune. En effet, l’aisance en la langue espagnole est une des conséquences de la proximité historique et culturelle avec la France.
Nous sommes plus proches de cette culture, que de la culture d’origine
germanique. De plus, la culture anglo-américaine est, à l’origine, plus
étrangère à la nôtre, même si aujourd’hui, elle devient de plus en plus
familière, du fait de la diffusion mondiale et de l’insupportable
pression qu’exercent les États-Unis sur le reste du monde.
Avons-nous physiologiquement plus de mal que les autres à maîtriser des langues étrangères ?
Il
n’y a pas vraiment d’inné dans l’apprentissage des langues, c’est un
phénomène social qui n’est pas lié à des données biologiques. En
revanche, on peut dire que la phonétique française a un spectre,
c’est-à-dire un ensemble de vibrations mesuré en Hertz, un peu moins
élevé que celui de l’anglais. Les sons du français comportent des formants
plus étroits, allant moins haut dans les aigus et moins bas dans les
graves, que la plupart des langues européennes. Cela pourrait être une
explication de la plus grande difficulté d’audition, et de donc de production des langues étrangères.
Est-on voué à toujours assez mal maîtriser l’anglais ou peut-on changer les choses, notamment grâce à des méthodes d’apprentissage différentes ?
Il est peu probable que cela évolue. Je suis totalement opposé à l’insupportable impérialisme anglo-américain.
Par conséquent, même si on faisait des efforts, je serais d’accord
seulement s’ils étaient en faveur de la diversité des langues : italien,
espagnol, russe, arabe, chinois, etc. Et non pas en faveur du seul
anglais. Je suis favorable à deux deuxièmes langues, c’est-à-dire, les
familles choisissant majoritairement l’anglais à cause de la pression
énorme qu’exercent les États-Unis, une autre langue différente de
l’anglais. Je m’oppose fermement au progrès de l’anglais seul !
Il faut promouvoir la diversité et par là même le français, pour résister face à l’hégémonie du monde anglo-américain. La promotion du français implique en effet celle de la diversité des langues, comme cela est montré dans le livre "Contre la pensée unique" (Éditions Odile Jacob).
Claude Hagège est linguiste, professeur honoraire au Collège de France et lauréat de la médaille d'or du CNRS.
Propos recueillis par Célia Coste
[Source : www.atlantico.fr]
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