sábado, 20 de dezembro de 2025

Farine d’insectes : le fiasco industriel à 600 millions d’euros de l’entreprise Ynsect dans la Somme

Ynsect, longtemps présentée comme une start-up emblématique du renouveau industriel français de la French Tech, est devenue en quelques mois l’un des fiascos industriels les plus coûteux de la décennie, avec plus de 600 millions d’euros d’argent public et privé engloutis en moins de quinze ans. 

Un employé tient des vers dans la ferme expérimentale « Ynsect » à Dole, dans l'est de la France, le 8 février 2018.

Écrit par Gaspard Lignard 

La liquidation judiciaire de celle qui devait être le leader mondial de la farine d’insectes, prononcée début décembre par le tribunal de commerce d’Évry, marque la fin d’un projet qui promettait de révolutionner la protéine animale grâce à l’élevage intensif de vers de farine, mais qui n’a jamais réussi à atteindre l’équilibre économique. 

L’échec d’Ynsect cristallise les excès d’un modèle fondé sur des levées de fonds massives, des aides publiques importantes et des promesses industrielles très en avance sur la réalité du marché. 

Entre une usine géante à Poulainville (Somme) dont la montée en puissance a pris des années de retard, des coûts fixes explosifs et un business plan remis en cause par l’abandon de certains débouchés, la start-up n’a pas su transformer l’abondance de capitaux en rentabilité durable. 

Une licorne nourrie aux levées record 

Créée en 2011, Ynsect a très vite séduit investisseurs et pouvoirs publics en promettant des protéines d’insectes pour l’alimentation animale et des engrais issus des déjections de larves. En une décennie, la société lève plus de 300 millions d’euros en capital, auxquels s’ajoutent environ 170 millions d’obligations convertibles, 150 millions de dettes bancaires et une vingtaine de millions de subventions publiques, selon les calculs du site Cafétech, un média indépendant sur l’actualité des nouvelles technologies. 

Une levée record de 315 millions d’euros, annoncée en 2020, devait permettre de financer l’usine picarde présentée comme la plus grande ferme verticale au monde. En avril 2023, Ynsect parvient encore à réunir 160 millions d’euros supplémentaires, confirmant son statut de licorne emblématique de la transition agroalimentaire française, selon Challenges. 

Pour les territoires et les décideurs politiques, le projet était un symbole de réindustrialisation verte, au point d’être cité comme un «exemple» d’activité vertueuse par les élus des Hauts-de-France lors de la montée en puissance du site d’Amiens. 

Une usine géante bâtie sur un modèle fragile 

Au cœur du pari industriel, l’usine de Poulainville devait produire à grande échelle des farines d’insectes destinées à l’aquaculture, avant que la société ne change de stratégie. Avec des coûts de production supérieurs à ceux des farines de poisson, Ynsect renonce progressivement à ce marché, rendant obsolète une partie du plan d’affaires qui justifiait la taille du site. 

Les retards de chantier, aggravés par la crise énergétique et l’augmentation du prix des céréales nécessaires pour nourrir les larves, alourdissent encore la facture. Fin 2023, le groupe affiche un chiffre d’affaires limité – quelques millions d’euros – pour des pertes nettes de l’ordre de 80 millions, selon les éléments rapportés par la presse économique. 

L’équation opérationnelle devient intenable: pour atteindre le point d’équilibre, la production devait représenter 30% de la capacité du site, et 60% pour espérer rentabiliser les investissements, alors que l’usine tournait encore autour de 15% début 2025. 

Une rentabilité introuvable malgré l’argent public 

L’ampleur des financements publics injectés dans Ynsect reste difficile à chiffrer précisément, mais la presse évoque plusieurs dizaines de millions d’euros, entre subventions européennes, aides nationales et soutiens locaux. Cafétech estime qu’environ 200 millions d’euros d’argent public, sous diverses formes, ont participé directement ou indirectement à l’édification de ce «champion» des protéines alternatives. 

Malgré ces soutiens, la société ne parvient pas à dégager des revenus à la hauteur de ses coûts fixes et de son endettement. Entre 2020 et 2023, le chiffre d’affaires cumulé atteint à peine 1,8 million d’euros pour la vente de produits fabriqués sur le site de Dole, un niveau dérisoire au regard des capitaux mobilisés. 

Cette disproportion croissante entre l’argent injecté et l’activité réelle alimente progressivement le scepticisme des investisseurs institutionnels, alors que les conditions de financement se durcissent pour l’ensemble de la tech verte. 

Une fuite des investisseurs et des plans de sauvetage avortés 

Placée en procédure de sauvegarde en septembre 2024, puis en redressement judiciaire début mars 2025, la société obtient, au printemps, une rallonge de 10 millions d’euros auprès d’actionnaires historiques, censée financer quelques mois d’activité et prolonger la période d’observation jusqu’à fin mai. 

Mais ce sursis ne règle rien: une enveloppe d’au moins 32 millions d’euros est jugée nécessaire pour relancer la machine, alors que l’entreprise ne parvient à réunir, au total, qu’une quinzaine de millions. «Tous les investisseurs sérieux sont partis en courant», résume un ancien salarié cité par Cafétech, décrivant une structure devenue trop risquée pour les fonds de capital-développement. 

Faute d’offre de reprise crédible pour l’ensemble du périmètre, plusieurs scénarios de cession partielle sont étudiés, notamment pour le site de Dole, mais aucun montage ne permet de sauver le cœur du projet industriel porté en Picardie. 

Un signal d’alerte pour la French Tech verte 

Le 1ʳ décembre 2025, le tribunal de commerce d’Évry prononce la liquidation judiciaire d’Ynsect, actant la fermeture définitive de la ferme-usine de Poulainville. Près de 200 emplois sont directement menacés, sans compter les effets en chaîne sur les sous-traitants et l’écosystème local construit autour du site, selon L’Action agricole Picardie. 

Pour les élus régionaux et locaux, qui avaient fait d’Ynsect un symbole de reconversion industrielle, la déconvenue est d’autant plus forte qu’ils avaient mis en avant, pendant une décennie, des milliers d’emplois créés ou consolidés dans l’Amiénois. Certains parlent ouvertement d’«échec» pour la stratégie de soutien aux grandes fermes verticales, tout en réaffirmant leur volonté de continuer à attirer des projets industriels innovants sur le territoire. 

Dans les milieux de la tech et de l’investissement, le naufrage d’Ynsect est déjà perçu comme un avertissement pour les start-up industrielles présentant des modèles très capitalistiques. L’affaire rappelle qu’une technologie innovante et des promesses climatiques ne suffisent pas à compenser un modèle d’affaires fragile, surtout lorsque les coûts d’énergie et de matières premières sont volatils.

Pour les pouvoirs publics, l’enjeu sera de tirer les leçons de cet échec sans renoncer à soutenir des projets industriels à fort risque technologique, mais en encadrant davantage l’usage d’argent public et le suivi des engagements pris.

 

[Photo : SEBASTIEN BOZON/AFP via Getty Images - source : www.epochtimes.fr]


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