Ben Jelloun estime que ces décisions révolutionnaires prises par la Tunisie ne seront pas suivies par d’autres pays arabes et musulmans. |
Écrit par Wafa Samoud
“Courageuse Tunisie”, c’est ainsi que l’écrivain marocain, Tahar Ben
Jelloun, a choisi d’intituler sa tribune publiée le 30 avril 2018 dans 360°.
Il s’agit d’un
clin d’œil pour remettre en relief les avancées sociales que mène la Tunisie
depuis des décennies notamment en matière de droits des femmes. Toujours
pionnière dans le monde arabe, cette dernière se démarque en osant “toucher à
des tabous”, estime l’écrivain.
“Ce petit pays,
menacé par le terrorisme et la régression des salafistes, avance et poursuit le
chemin d’une révolution à petites doses”, a-t-il souligné.
Pour Ben Jelloun, l’exemple tunisien mérite une certaine attention.
“D’abord le Code de la famille. Il est le plus progressiste de tout le monde
arabe (...) après le Code de la famille (NDLR: La circulaire de 1973 interdisant le mariage d’une Tunisienne à un non
musulman a été annulée en 2017) qui autorise une musulmane à
épouser un non-musulman,(...), c’est la liberté de conscience qui a été
inscrite dans la Constitution après la révolution de 2011”, a-t-il noté en
saluant son audace surprenant.
Des réformes
modernistes qui semblent buter contre le dogme à travers des textes de loi
progressistes, annonce l’écrivain. “C’est l’unique Constitution dans le monde
arabe à avoir réussi à introduire cette liberté pour l’individu”, a-t-il
martelé, en ajoutant que “tant que le monde arabe et musulman n’a pas franchi
ce pas en reconnaissant l’individu, c’est-à-dire, la personne, il restera
englué dans un brouillard de régression, et toute tentative de démocratisation
sera vouée à l’échec”.
À ses yeux, le
monde arabe est victime d’une “schizophrénie qui accentue le retard dans tous
les domaines”. En effet, contrairement à leur facilité déconcertante à adopter
les progrès techniques les plus sophistiqués, les pays arabes peinent à
progresser aux niveaux social et culturel. Il a expliqué ce frein par la
barrière de la charia. “Pour nombre de musulmans, la charia est un dogme
intouchable. Cette rigidité fait mal à l’islam”, a-t-il répliqué.
En effet, Ben
Jelloun a estimé que ces décisions révolutionnaires prises par la Tunisie,
notamment celle d’instituer l’égalité en héritage, ne seront pas suivie par
d’autres pays arabes et musulmans. “Pas d’effet domino”, a-t-il révélé.
Or le croyant a
le droit de s’adapter tant qu’il respecte l’esprit du texte. C’est en se basant
sur cette réflexion que la Tunisie a pu se libérer de ces dogmes, a-t-il
expliqué.
“Pour ce qui est
de l’héritage, c’est une belle avancée que le président Beji Caïd Essebsi, un
ancien ministre de Bourguiba, va réaliser. Il aura osé toucher au texte sacré.
Mais ce texte sacré n’interdit pas une nouvelle interprétation en liaison avec
une adaptation à la vie moderne. Il doit appliquer non pas la lettre mais
l’esprit”, a-t-il répliqué.
Le penseur
marocain s’est attardé, par ailleurs, sur des exemples qui dévoilent le
soulèvement de la Tunisie et sa révolte contre certaines évidences canoniques.
Il a prouvé que ces avancées, contrairement aux idées reçues, sont en effet
concordantes avec le texte sacré.
Pour étayer son
idée, Ben Jelloun s’est appuyé sur une anecdote de l’ancien président de la
République, Habib Bourguiba : “Rappelons que c’est dans ce pays que Habib
Bourguiba avait en 1958 osé boire un verre de jus d’orange à la télévision en
plein jeûne de ramadan, appelant le peuple à se concentrer sur la lutte contre
le sous-développement. Tout le monde sait que le jeûne induit une baisse de
rentabilité dans certains domaines. Comme il est légitime de ne pas jeûner
durant les longs voyages ou pendant la guerre, Bourguiba considérait que le
combat contre le sous-développement était comparable à une guerre”.
En fait, Ben
Jelloun estime que la Tunisie a réussi à prendre des décisions
révolutionnaires, en phase avec la modernité, tout en respectant le texte
sacré. Un dosage fragile qui offre une nouvelle “interprétation en liaison avec
une adaptation à la vie moderne”. “Du point de vue religieux aucun mal à
s’adapter, à vivre l’islam non plus tel qu’il est apparu au septième siècle
mais tel qu’il a grandi à travers les époques et les civilisations”, a-t-il
affirmé, avant de conclure que “c’est dans ce pays fragile que des décisions
courageuses et révolutionnaires sont prises en dépit des conditions difficiles
dans lesquelles vivent les Tunisiens”.
[Photo : AWAKENING VIA GETTY IMAGES - source : www.huffpostmaghreb.com]
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