quarta-feira, 11 de março de 2015

Un jour bien rempli dans la vie de Nick Cave

Post-punk gothique et prophète des apocalypses binaires, le rocker australien fait l’objet d’un portrait invraisemblable dans «20 000 Days on Earth». Ce documentaire célèbre la puissance de la fiction

Nick Cave et Kylie Minogue. Retrouvailles des interprètes de «Where The Wild Roses Grow».

Par Antoine Duplan 

Du premier cri de l’enfant qui naît au premier chant du coq, enfin son avatar moderne, la sonnerie du réveille-matin à 07:00 pile, 48 000 heures ont passé dans un kaléidoscope d’images subliminales. Dring! C’est le 24 juin 2012 et Nick Cave, 54 ans et des broutilles, célèbre son 20 000e jour sur Terre!

Le chanteur saute du lit, tire les rideaux. La lumière envahit la pièce, aussi blanche que sur la pochette de Push The Sky Away , l’album sur lequel il travaille. Petite différence: Susie Bick, son épouse, fait la grasse matinée alors que sur le disque, elle traverse la pièce en tenue d’Eve.
20 000 Days on Earth respecte les unités de temps (24.06.12.) et de lieu (Brighton la pluvieuse où réside le rocker australien, avec un crochet à Douvres, une session de studio à Saint-Rémy-de-Provence et un saut de puce à Sydney). L’unité d’action est plus malmenée. Nick Cave s’installe d’abord dans le capharnaüm de son bureau pour taper quelques pages assurément pleines de sexe et de violence (lire Et l’Ane vit l’angeLa Mort de Bunny Munro et autres romans réservé aux adultes…).
Il se rend ensuite chez son psychiatre. Puis il travaille sur «Higgs Boson Blues». A midi, il va manger chez Warren Ellis – mais boudant les nouilles noires et l’anguille que son copain guitariste avait mitonnées, il se contente de pain beurré. Il passe au centre d’archivage où l’on conserve ses moindres vestiges. Il partage le repas du soir avec ses enfants, une tranche de pizza molle devant la télé (à regarder Scarface de Brian De Palma?). Puis il file donner un concert de gala, emphatique et barbare, à Bennelong Point, Australie. Ainsi en va-t-il de la vie quotidienne des rockstars…
Nick Cave entretient un rapport privilégié avec le cinéma. Wim Wenders a révélé la musique sauvage des Bad Seeds dans Les Ailes du désir. Le chanteur a tenu le rôle d’un prisonnier psychotique dans Ghost… of the Civil Dead et celui d’un ménestrel dans L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Il a composé la bande-son des films de John Hillcoat (The Proposition, La Route…) et du récent Loin des hommes. Ses trente-cinq ans de carrière, ses deux douzaines d’albums avec The Boy Next Door, Die Haut, Birthday Party, Bad Seeds et Grinderman, valaient un portrait documentaire.
Documentaire? A peine plus que le Münchhausen de Terry Gilliam ou lIntervista de Fellini… Forts de la complicité active de leur sujet, dont l’inclination à la mythomanie n’est plus à démontrer, Iain Forsyth et Jane Pollard signent un portrait à double fond truffé d’ironie. 20 000 Days on Earth prolonge une tradition rock’ n’rollienne initiée par Nicholas Roeg qui, aux antipodes du biopic propre en ordre, propose un portrait de star par la tangente, Mick Jagger en hédoniste décadent dans Performance ou David Bowie en visiteur extraterrestre dans The Man Who Fell On Earth.
Nick Cave s’amuse à se constituer en mythe. Chez le psychiatre, il remonte jusqu’à l’enfance, quand son père lui lisait Lolita. Aux archives, il évoque les années destroy berlinoises, quand «skinheads, bikers, voyous et psychopathes» affluaient aux concerts de Birthday Party, vendu comme «le groupe le plus violent du monde», et farfouille dans sa collection d’images pornographiques et religieuses.
Avec Warren Ellis, le chanteur a des conversations d’anciens combattants. Les potes échangent des souvenirs de concerts fabuleux, Nina Simone qui engueule le public et colle son chewing-gum sous le piano avant de lancer le bastringue. Ou Jerry Lee Lewis qui se pointe comme un vieil orang-outan et déchaîne la folie dès l’instant où il martèle ce piano sur lequel il n’arrive plus à grimper…
Le «Grand Lord gothique» assène de forts adages exprimant la quintessence de la rock’n’roll attitude: «Pris dans le cœur d’une chanson, on peut être emporté et devenir Dieu pour un instant.» La clé d’une chanson, explique-t-il, c’est le contrepoint. C’est comme «laisser un jeune enfant dans une pièce avec un mongolien psychopathe. Si rien ne se passe, on fait entrer un clown en tricycle. S’il ne se passe toujours rien, on abat le clown»…
Adoptant un dispositif kiarostamien, le film organise trois conversations en automobile. Avec Blixa Bargeld, le guitariste d’Einstürzende Neubauten qui ferrailla pour les Bad Seeds. Avec le comédien Ray Winstone, qui joue dans The Proposition, histoire de parler du temps qui passe pour les stars comme pour les simples mortels. A quel moment faut-il lever le pied? Quand donc les Rolling Stones se contenteront-ils de jouer du banjo sur la véranda?
Avec Kylie Minogue, Nick Cave a enregistré «Where The Wild Roses Grow», une poignante murder ballad à deux voix, énorme succès. Ils évoquent la gloire et la mort. La chanteuse s’amuse de savoir que dans les musées de cire, plusieurs effigies d’elle lui garantissent un fragment d’éternité. Elle avoue qu’elle a peur de l’oubli et de la solitude.
Au soir de cette journée bien remplie, Nick Cave s’est assis sur la plage de Brighton. Seul dans la nuit, le rocker ténébreux guette la bosse des monstres marins susceptibles de surgir des eaux telle la vérité et lui inspirer de nouvelles chansons pleines de fureur binaire et de paraboles bibliques.
20 000 Days on Earth, 

de Iain Forsyth et Jane Pollard (Royaume-Uni, 2014). 1h37.

[Photo : Xenix - source : www.letemps.ch]

Sem comentários:

Enviar um comentário