Mères célibataires, homoparentalité, unions libres : en Israël, comme ailleurs, le modèle familial traditionnel est en train d’imploser. Un véritable défi pour les autorités et les milieux religieux.
Écrit par Nathalie Hamou
C'est un signe qui ne trompe pas : depuis plusieurs années, Israël ne célèbre plus la Fête des Mères, mais le « Jour de la Famille ». L’évènement a lieu le 30 du mois de Shvat, en hommage à Henrietta Szold (1860-1945), la fondatrice de l’organisation sioniste des femmes américaines Hadassah, qui n’eût pas d’enfants, mais joua un rôle clé au sein de l’Aliyat HaNoar, mouvement qui a sauvé quelque 22.000 enfants juifs de l’Europe nazie. Pour les Israéliens, ce changement d’appellation reflète surtout l’évolution des mœurs, et la volonté d’associer les « familles alternatives » à cette journée nationale.
Dans la région de Tel-Aviv, le boom des mères célibataires et de l’homoparentalité a, par exemple, donné naissance aux « États généraux des familles alternatives ». Une manifestation organisée pour la première fois en 2010 (et pendant trois années de suite), en présence d’Itzhak Herzog, alors ministre des Affaires sociales. « Lors de la cérémonie du Jour de la Famille de mon école de quartier, on explique aux enfants que dans certains foyers, il y a parfois un papa et un papa ou une maman et une maman », avait déclaré le leader travailliste lors de l’évènement initié par l’association « Arc-en-ciel » (Keshet).
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Israël compte désormais 120.000 familles monoparentales, soit 6% du total. Entre 2000 et 2010, le phénomène qui concerne surtout des femmes célibataires avec enfants a fait un bond de 63%. Par ailleurs, selon l’association de conseil juridique « Nouvelle famille », Israël compte plus de 18.000 foyers gays et lesbiens : plus de 3.000 enfants vivent dans une famille homoparentale avec deux mères ou deux pères.
« Si l’on inclut d’autres familles alternatives, comme les familles de travailleurs étrangers, les foyers non juifs ou encore les couples vivant ensemble sans être mariés, on peut dire que 42% des familles israéliennes ne correspondent pas à la définition du modèle familial traditionnel, et ne jouissent pas des mêmes droits », explique l’avocate Irit Rosenblum, la fondatrice de « Nouvelle famille » (lire notre encadré).
Des avancées
Paradoxalement, dans un pays où les rabbins orthodoxes contrôlent les procédures de mariages et de divorces, les familles alternatives jouissent d’un environnement juridique plutôt favorable. C’est ainsi que les femmes célibataires constituent la grande majorité (75% contre 25% de couples inféconds) des personnes ayant recours aux banques de sperme pour fonder une famille. Israël, qui détient le taux d’assistance médicale à la procréation (PMA) le plus élevé au monde, a en effet adopté une politique très libérale en la matière.
Tradition pro-nataliste oblige, l’accès à la PMA n’est pas réservé -comme dans de nombreux pays- aux couples mariés. Les femmes célibataires sont éligibles aux fécondations in vitro, qui sont entièrement prises en charge par la « sécurité sociale » israélienne. Certes, dans les communautés religieuses, le stigmate de la femme célibataire qui « fait un bébé toute seule » reste fort. C’est ainsi que l’institution de conseil en fertilité Puah, basée à Jérusalem, recommande aux célibataires n’ayant pas encore rencontré leur futur conjoint de congeler leurs ovocytes ! Mais d’autres voix se font entendre. À l’image de Kayama, le premier groupe de soutien aux mères célibataires du monde religieux, né voilà cinq ans dans la capitale israélienne.
De son côté, la communauté gay a obtenu de nombreuses avancées dans le domaine familial, depuis la dépénalisation du fait homosexuel en 1998, grâce aux décisions d’une haute cour de justice très libérale. « Les membres de la communauté homosexuelle israélienne ont pour singularité de ne pas concevoir leur vie de couple sans enfants », explique l’avocat Yossi Berg, l’un des fondateurs de l’association Keshet, père d’une fille de 11 ans qui devrait bientôt avoir un petit frère ou une petite sœur.
C’est ainsi que le droit à l’adoption d’enfants biologiques ou non biologiques a été reconnu pour les couples du même sexe (entre 2005 et 2008), avec dans les deux cas, la possibilité pour le conjoint d’adopter les enfants de son partenaire ; par ailleurs, des couples gays peuvent bénéficier d’un congé paternité (2009) ; depuis peu, ils peuvent enfin faire reconnaître un enfant né d’une gestation par autrui (GPA) à l’étranger, cette méthode de procréation autorisée depuis 1995 étant réservée en Israël aux couples hétérosexuels.
La sensibilisation encore nécessaire
Reste que ces avancées juridiques ne changent pas forcément les mentalités. Au lendemain de l’attentat meurtrier, commis en août 2009 contre un centre de Tel-Aviv fréquenté par de jeunes gays et lesbiennes, le journal Haaretz a publié un sondage selon lequel 46% des Israéliens estiment que l’homosexualité est une « perversion ». Un taux qui atteint 71% au sein de la population ultra-orthodoxe. De quoi inciter l’association de gays et lesbiennes religieux Shoval (acronyme hébraïque de « Che Ha Kol Bara Likhvodo » « qui a créé toutes choses pour Sa gloire ») à militer pour la diffusion d’une culture de la tolérance auprès des enseignants et des éducateurs du secteur religieux.
« L’une des principales craintes des familles homoparentales est que leurs enfants soient rejetés, notamment dans leur milieu scolaire, en raison des préférences sexuelles de leurs parents », confirme Yossi Berg, qui a par ailleurs cofondé l’association Avot Gehim (dédiée aux pères de la communauté gay). De fait, certaines écoles maternelles de Tel-Aviv organisent des cérémonies marquant l’entrée du Shabbat, avec deux « papas » et deux « mamans ».
« Lors d’un stage de formation, j’ai rencontré des couples du même sexe et il m’a semblé important de faire allusion à cette réalité », pointe l’enseignante Yaël Melamed, qui n’a pas hésité à adopter cette pratique. Autre outil utilisé par les enseignants israéliens : l’album jeunesse Tomer a une maman (paru en 2004). Un livre signé Sylvia Nordman, une nouvelle immigrante d’Amérique latine, qui se présente comme l’un des rares ouvrages à aborder le sujet des mères célibataires pour un public d’âge tendre...
Une start-up autour des mille et un visages de la famille israélienne. C’est ainsi que l’on pourrait définir l’association New Family, fondée en 1998 par Irit Rosenblum. Fille de survivants de la Shoah, cette avocate native de Jérusalem, installée à Tel-Aviv, est l’une des plus ardentes activistes en faveur du droit à la famille, et ce quelle que soit l’orientation sexuelle, la religion ou le statut légal d’un individu.
Son principal cheval de bataille : trouver des solutions créatives dans le domaine des mariages et des divorces dans un pays où le mariage non religieux n’a pas droit de cité. Irit Rosenblum a ainsi créé un « contrat d’union domestique », qui a permis à des milliers de couples israéliens (de confessions différentes, dont le judaïsme n’est pas reconnu ou appartenant à une autre rubrique « hors consensus ») de s’unir légalement, sans avoir à rendre des comptes aux institutions religieuses. Elle a aussi défendu de nombreux couples dans les prétoires dans leurs combats pour l’homoparentalité.
« La société israélienne est particulièrement "family friendly", y compris quand les parents sont du même sexe. On peut même dire que la perception des gays évolue en leur faveur lorsqu’ils choisissent de croître et de se multiplier », confie encore celle qui vient de publier un ouvrage autobiographique, intitulé Ba Gan shel Eloim (Dans le jardin de Dieu).
Enfin, Irit Rosenblum n’a pas manqué d’innover dans le domaine de la procréation en étant la première à inventer le « testament biologique » : une formule permettant à une personne souffrant d’une maladie incurable, aux familles endeuillées ou aux veufs de s’assurer une descendance via une insémination post mortem. Un processus désormais validé par les tribunaux.
[Source : www.cclj.be]
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