sexta-feira, 4 de agosto de 2017

Maurice El Médioni, piano pied-noir

Écrit par Michel Henry

À Marseille
Maurice El Médioni a fait deux choses dans la vie, vendre des fringues sur la Canebière à Marseille (il a arrêté), et jouer du piano ­depuis soixante-huit ans (il continue). «Le clavier me connaît, rigole-t-il. Je mets mes mains au service du public.» On prend sa paluche gauche en photo. «Mais on ne verra pas mon visage, alors ?» À une terrasse de café, il raconte sa vie. Ce mois-ci, il est en Israël, avant il revenait d'Angleterre. Maurice a 77 ans, il sort un disque avec Roberto Rodriguez, Cubain de l'East Village new-yorkais. Percussions et cuivres cubains, autour d'un piano venu d'Oran : Juif algérien devenu pied-noir, Maurice marche au mélange. Raï, liturgie juive, jazz, musique tsigane, flamenco, tango, bossa-nova...
«Bonheur». Avec son «pianOriental», on l'a connu derrière Reinette l'Oranaise, voilà qu'il se met au «latinOriental». Affaire montée par Piranha, maison de disques basée à Berlin, dont le patron, Christoph Borkowsky, explique : «On voulait aller ensemble à Cuba. Puis il y a eu le Buena Vista Social Club. On a changé d'optique, pour ne pas faire une pâle copie». Borkowsky a trouvé Roberto Rodriguez, «un autre exilé, comme Maurice, et avec un grand intérêt pour les musiques juives». L'été 2005, ils jouent dix jours en studio à New York. «Si j'avais gagné au loto, je n'aurais pas eu autant de bonheur, assure Maurice. Borkowsky m'a dit : "Il faut étaler tes doigts, tu vaux à 95 % par tes doigts". Le reste, c'est de la garniture.» Le reste, Maurice le chante, dans Oran Oran, sa ville natale, quittée en 1961, jamais revue : «Tu as assisté à ma naissance/Dans le derb j'ai passé mon enfance (...)/ Je n'avais jamais pris de vacances/Je ne connaissais même pas la France (...)/ Oran Oran, je ne t'oublierai pas/Oran oui on se reverra...». Mais quand ? En 1990, il a failli y retourner avec Lili Boniche. Contrats signés, puis voyage annulé : «J'ai une envie folle ! Mais je retourne seulement quand c'est la paix entre nos peuples». Ça risque d'attendre.
En 2004, Khaled lui a fait sa «plus grande joie depuis quarante ans» en le réunissant, sur un morceau de son disque Ya-Rayi, avec son vieux pote de l'Oran des années 50, le guitariste Blaoui El-Houari. Avant, juifs comme Maurice et musulmans comme Blaoui jouaient ensemble, même s'«il y a toujours eu de l'antisémitisme ; on a toujours été méprisés. Mais on faisait mine de rien».
Son oncle Saoud l'Oranais, maître de la chanson arabo-andalouse, a été pris en 1943 avec son fils dans la rafle du Vieux-Port à Marseille, déporté et gazé à Sobibor. Avant, l'oncle Saoud jouait à Oran, au café Saoud, qu'il tenait avec le père de Maurice. Né en 1928, Maurice a commencé par jouer de l'oud sur une poêle à frire, pour imiter ces soirées au cabaret. À 7 ans, il perd son père, sa mère élève seule les quatre enfants. À 9 ans, son frère lui achète un vieux piano aux puces. À 11 ans, la guerre commence, les Juifs, renvoyés des écoles, vivent «toutes les misères». Le 8 novembre 1942, les Américains débarquent, «tous les Juifs d'Afrique du Nord sont nés à nouveau ce jour-là».
«À l'assaut du piano». Maurice a alors 14 ans, «petit garçon dégourdi», il entre dans les bars américains «à l'assaut du piano. Quand le patron me renvoyait, les soldats américains l'enguirlandaient. J'ai appris leur musique. Boogie-woogie avec les soldats noirs, rumba avec les Portoricains.» À 18 ans, il devient un pro du piano, «latino, variété française». Et le raï frappe à sa porte ­«musique sexy, les filles aux mœurs légères le cultivaient» ; il l'accompagnera façon rumba, pour «un mélange fabuleux».
«Virus franco-oriental». D'Algérie, Maurice le tailleur se taille, contraint et forcé ; en 1961, essaye Israël, vient à Paris. Au Poussin Bleu, face aux Folies Bergère, il accompagne Lili Labassi, Line Monty ou Blond-Blond. Piano la nuit, confection le jour, le soleil lui manque. En 1967, il s'installe à Marseille, renonce à la musique, vend du costume. Puis Line Monty le fait monter pour ses concerts à Paris. «Elle avait le virus franco-oriental, comme moi, elle disait "Maurice apporte autre chose avec sa main gauche, la culture du boogie-woogie".»
Dans cette carrière à éclipses, il sort son premier disque, Café Oran, en 1996, à 68 ans. Puis il y aura Pianoriental en 2000, un troisième disque à Tel-Aviv, un quatrième, de liturgie judéo-andalouse. Et le cinquième, pour lequel un critique parle d'«Eddie Palmieri d'Afrique du Nord». Borkowsky, le producteur berlinois, s'interroge : «Pourquoi aucune maison de disque française ne l'a-t-elle signé ? Maurice est un héritage culturel vivant de la France. Mais il reste dans la périphérie, alors qu'il devrait se trouver dans la lumière. C'est un mystère.»

[Source : www.liberation.fr]




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