terça-feira, 10 de novembro de 2020

SOS verbes en péril

Un certain nombre de représentants de cette catégorie de mots sont en voie de disparition.

 
Gésiroindreseoirpoindreéchoir... Regardez-les bien. Observez-les avec attention. Et attristez-vous car ces verbes-là appartiennent à la catégorie peu enviable des espèces menacées. Il en est en effet des langues comme de la nature : certains mots semblent mieux adaptés à l'évolution que d'autres et une sélection impitoyable s'opère. (1)
 
Prenez oindre, par exemple. Croyez-moi : ce verbe issu du latin unguere (enduire, parfumer) n'en a plus pour longtemps et devrait connaître le même sort que son substantif oing, qui a cédé la place à onguent. Pas facile, il est vrai, de le conjuguer sans avoir l'impression d'avoir attrapé une sinusite carabinée (au passé composé : ils ont oint) ; sans erreurs (à l'imparfait : j'oignais ; au passé simple : j'oignis ; au subjonctif présent : que j'oigne) ou sans s'esclaffer (au présent de l'indicatif : nous oignons). Je vous le dis : c'est à pleurer !
 
Seoir n'est pas mieux loti. C'est bien simple : ses chances de résister à asseoir semblent aussi grandes que celles d'un joueur de tennis français de battre Nadal à Roland-Garros. Issu du latin sedere - "être assis" - le pauvre est visiblement né sous une mauvaise étoile : "Il était déjà considéré comme vieux à l'époque classique", signale le dictionnaire historique de la langue française. En fait, on le rencontre aujourd'hui surtout au sens figuré de "paraître convenable" dans "il sied" ou "il est séant", et sous la forme de ses dérivés "sur son séant" et "bienséant" (encore se situe-t-on dans le registre de langue soutenu). À souligner enfin qu'il a déjà perdu la plupart de ses conjugaisons (on parle de verbe "défectif"). Il ne s'emploie en effet qu'à certaines personnes et à certains temps comme à l'indicatif présent ("il sied", "ils siéent") et imparfait ("il seyait" ; ils "seyaient") ou encore sous la forme des participes présent ("séant", "seyant") ou passé ("sis").
 
Echoir est aussi un verbe défectif. "Il échoit", "ils échoient" ? Oui. "J'échois", "tu échois", "nous échoyons", "vous échoyez" ? Non. Et encore : à moins que n'aimiez passer pour un original, je vous conseille de prendre votre courage à deux mains avant de l'utiliser dans une conversation courante au futur ("il échoira") ou au conditionnel ("il échoirait"). Issu du latin excadere "tomber, sortir de" (tout comme choir vient de cadere), il a d'abord eu le sens de "être dévolu" avant de signifier "arriver à son terme". Si ses dérivés échéance et échéant (notamment dans "le cas échéant") devraient subsister, échoir, je le crains, a du chouchi à se faire.
 
Drôle de destin également que celui de poindre. Son sens initial, "piquer", se retrouve en fait surtout dans son participe présent poignant ("qui provoque une vive douleur morale", dit le dictionnaire). Il a par la suite évolué pour signifier "commencer à paraître", notamment pour évoquer le jour qui se lève. Si vous voulez briller dans les dîners en ville, je vous livre ce proverbe un brin suranné que l'on trouve par exemple chez Rabelais : "Oignez vilain, il vous poindra ; poignez vilain, il vous oindra". Autrement dit : "soyez aimable avec un voyou, il vous frappera ; montrez-vous dur avec lui, il vous passera de la pommade". Assez peu politiquement correct, je vous l'accorde, mais peut-être pas faux.
 
On pourrait encore citer gésir, que l'on ne rencontre plus guère que sur les pierres tombales (ci-gît) ; le très rare apparoir, supplanté par apparaître (mais qui survit dans "il appert" et surtout dans son dérivé "apparent") et quelques autres (s'aboucherchaloirdébagoulerférir...). En toute subjectivité, j'ai cependant décidé de terminer cette lettre d'information par ouïr. Entendez-vous souvent, c'est le cas de le dire, quelqu'un lancer "j'ois" ou "tu ois" ? Sans doute pas. C'est que le brave ouïr, issu du latin audire, est victime à la fois de sa brièveté et de sa bizarrerie. À l'imparfait ? "J'oyais, nous oyions". Au conditionnel ? "J'ouïrais, nous ouïrions." Au passé simple ? "Nous ouïmes". Au participe présent : "Oyant", le pompon étant sans doute décroché par l'imparfait du subjonctif : "Que j'ouïsse" ! Au fond, il ne subsiste que dans les formules un peu désuètes comme "oyez, braves gens" et "j'ai ouï dire". Dans les autres cas, il a été généralement remplacé par entendre. Le pauvre est tellement mal en point que son participe passé ouï est moins employé que son antonyme inouï, dont le sens initial ("qu'on ne peut entendre") a pris une valeur intensive. Quant aux dérivés inouïble (Montaigne) et inouïsme (caractère de ce qui est hors du commun), ils n'ont pas connu un meilleur sort.
 
C'est pourquoi il ne m'étonnerait pas que ouïr finisse à son tour par gésir.
 
(1) L'idée de cette chronique m'est venue grâce à la formidable bande dessinée consacrée à la langue française que j'ai grand plaisir à vous recommander de nouveau : Et cetera, et cetera, la langue française se raconte, par Julien Soulié et M. la Mine. First Editions, 18,95 €.
 
 
 
[Source : www.lexpress.fr]
 

Sem comentários:

Enviar um comentário