La Finlande ressemble
aux clichés idylliques placardés dans le métro : des paysages baignés de
milliers de lacs, une vie paisible, éloignée de l’agitation du monde. Un pays
qui incite à l’expatriation un nombre croissant de Français (+14,2% l’an dernier). Leur enthousiasme sera-t-il douché par
la guerre des langues qui couve en Finlande ?
Bilingue depuis sa
création, en 1917, la Finlande compte 5,4 millions d’âmes. Dont une écrasante majorité de
finnophones (ou fennophones, ceux qui parlent le finnois) pour 5% seulement de
suédophones (ou svécophones) – moins de 300 000 personnes –, qui craignent une
finlandisation en
bonne et due forme.
Les autorités se
veulent rassurantes mais les esprits s’échauffent. Le parti extrémiste des True Finns, qui
clame sa volonté de bouter la langue suédoise hors de Finlande, a raflé 19% des
suffrages aux législatives d’avril 2011.
Et l’Association pour
la langue et la culture finnoises (Suomalaisuuden Litto)
dénonce par la voix de Pekka Sinisalo, son vice-président, « une situation
ubuesque où 95% de la population est forcée d’étudier une langue parlée par 5%
des gens. Cela coûte des milliards [assertion impossible à vérifier mais
vraisemblablement très exagérée, ndlr] et mobilise des moyens humains et
financiers qui pourraient être utilisés à meilleur escient pour enseigner des
langues plus utiles que le suédois en Finlande ! »
Au-delà des
revendications tonitruantes d’une poignée d’extrémistes, le débat émerge – fait
nouveau en Finlande, où le bilinguisme, protégé par la Constitution,
le Language
Act et la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires était jusque-là
consensuel.
Comme si ce faisant, il s’agissait pour ce pays
longiligne du Nord de l’Europe, aplati entre un voisin suédois, à l’Ouest, et
l’imposante Russie, à l’Est, de prendre sa revanche sur l’Histoire.
Instrument de construction de l’identité finnoise
Sous la férule du
royaume de Suède, dont la Finlande dépend du XIIIe au XIXe siècle, on y parle
surtout suédois. Le finnois est la langue du pauvre, utilisée dans les campagnes
et au XVIe siècle, le pasteur Mikael Agricola fixe les
bases de cette langue finno-ougrienne, apparentée à l’estonien et, de loin, au
hongrois. En 1809, la région passe dans le giron russe à la faveur de la guerre de
Finlande.
Dans ce grand-duché
doté d’une autonomie relative, le finnois devient l’instrument de construction
de l’identité et de la nation finnoises. En 1870 émerge le mouvement des fennomanes qui clame
son slogan haut et fort :
« Suédois, nous ne sommes plus, russes nous ne pourrons jamais le devenir, ainsi, nous devons être Finlandais ! »
(A l’origine en suédois, cela donne : « Svenskar
äro vi icke mera, ryssar kunna vi icke bli, derför måste vi vara finnar. »)
Les fennomanes,
largement issus des milieux svécophones, s’arc-boutent contre l’influence russe
et s’appliquent à gommer l’héritage suédois. Artistes, écrivains et poètes
adoptent le finnois à la maison. Ils poussent le lifting jusqu’à finniciser
leurs patronymes – comme le peintre symboliste Akseli
Gallen-Kalela, exposé ces jours-ci au musée
d’Orsay, et qui délaissa en 1907 son patronyme de naissance, Axel Waldemar
Gallén.
La publication en
finnois de l’épopée nationale finlandaise du Kalevala, en 1835, donne à la
langue ses lettres de noblesse et le finnois acquiert une égalité de statut avec
le suédois en 1892. La Révolution d’octobre emporte la Russie tsariste et la
Finlande gagne son autonomie en 1917. La percée du finnois est définitive.
« Parlez finnois »
Aujourd’hui, elle flirte avec le négationnisme. « Les nationalistes
oublient que sans ces pères fondateurs de la nation, svécophones, la langue
finnoise n’aurait jamais émergé », s’emporte Ilya Spiegel, membre du
Rassemblement svécophone de Finlande (Finlandssvensk Samling),
et fondateur du parti des Nouveaux Finlandais (Uussuomalaiset).
Sur le papier, la protection du bilinguisme est
bétonnée et les svécophones peuvent accéder dans leur langue à toutes les
administrations publiques. Mais faute d’intérêt, ou justement à cause de
réticences croissantes au sein de la majorité fennophones, la pratique devient
problématique.
Petter Björk, traducteur et secrétaire général du
Finlandsvensk Sammling, s’agace :
« A une vieille dame de Kimitöön [région svécophone à 70%, ndlr], les services d’urgence ont répondu “puhu suomea”, c’est-à-dire “parlez finnois” au lieu de trouver un opérateur svécophone.
Quant à moi, j’ai été accueilli aux urgences par un médecin arrogant qui refusait de me parler suédois. Je n’étais pas en état de parler finnois clairement et le diagnostic a été complètement erroné. Ça a failli me coûter très cher… »
Une situation
clairement condamnée par l’« ombudsman »
(médiateur) parlementaire : « L’opérateur n’a pas le droit d’exprimer la
moindre réticence à parler l’une ou l’autre langue, encore moins de demander à
son interlocuteur d’utiliser l’autre langue officielle », souligne Päivi
Romanov, secrétaire générale de l’ombudsman.
« Nous ne sommes pas des exilés de Suède »
Ne reste-t-il plus aux
svécophones qu’à se réfugier sur les îles d’Åland, cet archipel autonome
démilitarisé composé de plus de 6 500 îles et situé au sud-ouest de la
Finlande ? C’est la seule région du pays officiellement monolingue, avec le
Suédois comme idiome. Petter Björk martèle :
« Ce n’est pas du tout ce que nous souhaitons. Nous ne sommes pas des exilés de Suède ! Notre point commun avec ce pays est la langue et une partie de notre culture, mais nous sommes des Finlandais avant tout.
Nous ne voulons pas de conflit. Simplement jouir de nos droits, qui ne sont pas des privilèges comme certains voudraient le faire croire. Et continuer de vivre dans cet environnement multilingue spécifique de la Finlande, qui connaît un nombre croissant de mariages “mixtes”. »
Imprimé de frais, le
rapport périodique [PDF] sur l’application de la charte
européenne pointe du doigt ce laisser-aller linguistique qui voit diminuer
constamment le nombre d’interlocuteurs officiels parlant le suédois. Car
l’apprentissage de cette langue, obligatoire pour les fonctionnaires, n’est basé
que sur le volontariat.
Quant au verrou de l’enseignement obligatoire du
suédois à l’école, il a sauté en 2005 avec la suppression de l’examen
obligatoire de suédois à la fin du lycée. Seul vestige, trois années de cours de
langue non optionnels mais dispensés « entre 16 et 19 ans – la pire période pour
apprendre quoi que ce soit si on n’en a pas envie », déplore Petter Björk.
Le terme est un peu
fort. Il n’empêche, cette « guerre » des langues représente le dernier jalon
d’une entreprise de libération nationale, d’une revanche sur tous les fronts –
la Finlande n’a-t-elle pas détrôné la Suède dans les classements Pisa
sur le niveau éducatif ? Ilya Spiegel déplore :
« Les svécophones sont encore considérés comme les tenants d’une caste dominante, possédante. C’était le cas autrefois, mais plus aujourd’hui et cette situation reflète bien le complexe d’une petite nation... »
Celui d’un pays qui a
pour héros le maréchal Mannerheim,
héros des deux guerres mondiales, et auquel les Finlandais vouent un quasi
culte. Un svécophone.
Par Malika Maclouf
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