« L’Insulte », film franco-libanais bien réalisé par Ziad Doueiri (2017), sort en France le 31 janvier 2018. Un banal différend à Beyrouth entre un garagiste chrétien libanais et un chef de chantier musulman palestinien se mue en affaire d’État, et fait resurgir des blessures non cicatrisées, de souvenirs tragiques dans un pays divisé où l'État tente de s'imposer. Un film révélateur à maints égards. Ciné + Club les 31 mars 2020 à 16 h 45, 1er avril 2020 à 10 h 30, 4 avril 2020 à 13 h 15.
Publié par Véronique Chemla
Habilement construit, réalisé "à l'américaine", ce film souligne les torts partagés des deux "héros" : Toni et Yasser deviennent des "hérauts" de leurs camps.
Les deux protagonistes principaux appartiennent à une classe moyenne qui tente de survivre professionnellement dans un État bureaucratique qui s'efforce de mettre en vigueur sa législation sur son territoire. Une réglementation discriminatoire à l'égard des Palestiniens.
Plus qu'une explosion sociale, c'est une implosion politique qui caractérise ce Liban. Ce film montre les ravages durables, profonds de la guerre au pays du Cèdre. La famille de Toni a été meurtrie par le massacre de civils chrétiens à Damour, bourgade chrétienne au sud de Beyrouth, commis par des terroristes palestiniens musulmans le 20 janvier 1976. Le film insiste plus sur le terrorisme palestinien que sur la guerre civile libanaise (1975-1990). Yasser a vécu Septembre Noir en 1969, mais le film n'indique pas son rôle alors ni que le royaume jordanien en 1969 réagissait contre les terroristes palestiniens qui avaient fomenté un coup d'État contre le souverain hachémite.
Le réalisateur Ziad Doueiri dépeint deux hommes de générations différentes, aux parcours opposés et présentant certains traits de caractères communs : Toni, trentenaire, s'avère secret, cultive le souvenir du président chrétien Bachir Gemayel (1947-1982) et avec ses souvenirs traumatisants, tragiques survenus dans son pays natal. Quant à Yasser - comme Yasser Arafat ? -, il est apprécié par son supérieur hiérarchique en raison de ses compétences professionnelles et est mû par la fibre sociale : il obtient une mutuelle pour ses ouvriers dans un pays érodant leurs droits. Tous deux ont épousé des femmes qui tempèrent leurs velléités, et avec lesquelles ils forment un couple soudé. Si l'agressivité de Toni est verbale, exceptionnelle et n'empêche pas un geste d'aide à l'égard de son adversaire, celle de Yasser est physique, difficilement contrôlable et réitérée à des décennies d'intervalles.
Les politiciens : le député de Beyrouth ou l'hôte d'un palais somptueux ? Soucieux de "paix" même temporaire, de leur image sous les ors et les lambris d'une république qui se délite et rechigne à affronter son passé récent.


« Yaoud »
Même un pays (quasi-)Judenrein comme le Liban est encore « habité » mentalement par les Juifs. C'est l'évocation d'un juif israélien, Ariel Sharon, qui joue le rôle de catalyseur de la violence jusque-là contenue de Yasser. À souligner que le terme « Yaoud » (Juifs, en arabe) est traduit dans le film par "Israéliens".
Peu après avoir été acclamé à Venise, le réalisateur Ziad Doueiri a été interpellé le 10 septembre 2017 à l'aéroport de Beyrouth, et ses passeports français et libanais ont été confisqués. Il devait comparaître devant un tribunal militaire : son précédent long métrage, "L'Attentat" (2012) d'après le livre de Yasmina Khadra, avait été interdit au Liban en 2013 car certaines scènes avaient été tournées en Israël, avec des acteurs israéliens. Or, le Liban a signé un traité d'armistice en 1949 avec le jeune État d'Israël, mais aucun traité de paix.

"Ce film s’est bâti ainsi, sur un engrenage. Je commence toujours mes films par une tension, un incident, j’essaye d’en voir les enchaînements. Je pars toujours de mes personnages, qui ils sont au début du film et qui ils deviennent une fois le film terminé. Là, en partant de ce conflit, j’avais deux personnages principaux : Tony et Yasser. Tous deux ont des failles, leur passé respectif présente une série d’obstacles internes. Il y a un climat extérieur chargé, électrique : le personnage de Tony porte en lui un secret, quelque chose qu’il a vécu et dont personne ne veut parler. C’est tabou, et il ressent cela comme une injustice. Yasser lui aussi rencontre des obstacles : il se méfie, par expérience, de la justice".
"La guerre du Liban s’est terminée en 1990 sans vainqueurs ni perdants : tout le monde a été « acquitté ». L’amnistie générale s’est transformée en amnésie générale. On a mis la poussière sous le tapis, comme on dit. Mais sans ce travail de mémoire, on ne cicatrisera pas".
"Le film de procès permet, sur le plan de la dramaturgie, de mettre deux antagonismes dans une même salle. Tu peux filmer leur confrontation, dans un face-à-face. C’est une sorte de western moderne, rejoué dans un huit clos. C’est ce que j’ai eu envie d’essayer, étant donné que le film décrivait une forme de duel entre Tony et Yasser".
"La justice a toujours été très importante pour moi, je viens d’une famille d’avocats, de juges, ma mère est avocate, et elle est devenue la conseillère juridique sur ce film. D’ailleurs, qu’est-ce que nous avons dû batailler au moment de l’écriture du scénario ! Elle est très maligne, ma mère, elle est terrible ! Elle a beaucoup travaillé à faire acquitter le palestinien dans le film (rires). Plus sérieusement, Joelle comme moi connaissons intimement l’histoire de la guerre du Liban, le prix payé par chacune des parties. Elle et moi, c’est intéressant à noter, venons de familles aux convictions politiques et à l’appartenance religieuse différente. Elle comme moi avons été élevés avec certaines idées. Joelle vient d’une famille chrétienne phalangiste, et moi d’une famille sunnite, qui a défendu la cause palestinienne, de façon là aussi très virulente. Puis nous avons, jeunes adultes, essayé au fur et à mesure des années de comprendre le point de vue de l’autre. On a chacun accompli un pas vers l’autre, mené un chemin solitaire pour trouver un équilibre, une forme de justice, dans cette histoire libanaise qui n’est ni blanche ni noire, dans laquelle il est impossible de dire voici les bons, voici les méchants".
"Si je devais résumer ce film, ce serait la recherche de la dignité. Chacun de ses deux personnages a perdu son honneur et sa dignité, chacun blâme l’autre, le rend responsable de ses problèmes. L’Insulte est un film résolument optimiste et humaniste. Il montre des chemins possibles pour arriver à la paix".
"C’est un film à dimension universelle. Yasser et Tony pourrait être d’une autre nationalité, d’un autre pays. Encore une fois, ce film est résolument optimiste et humaniste. Il montre le chemin d’une alternative aux conflits par la voie de la reconnaissance, de la justice et du pardon".
« L’Insulte » par Ziad Doueiri
Liban/France, 2017
Écrit par Ziad Doueiri et Joëlle Touma
Chef opérateur : Tommaso Fiorilli
Montage : Dominique Marcombe
Directeur artistique : Hussein Baydoun
Décors : Johan Knudsen
Casting : Abla Khoury
Son : Guihem Donzel, Olivier Walczak, Bruno Mercère
Musique : Eric Neuveux
Producteurs : Antoun Sehnaoui, Jean Bréhat, Rachib Bouchareb, Julie Gayet, Nadia Turincev
Producteur Associés : Frédéric Domont, Muriel Merlin
Co-producteurs : Charles S. Cohen, Geneviève Lemal
Une production Ezekiel Films, Rouge International, Tessalit Productions, en co-production avec Cohen Media Group, Scope Pictures, Douri Films, avec la participation de Cinémas du Monde – Centre National du Cinéma et de l’Image Animée – Ministère des Affaires Étrangères et du Développement International – Institut Français, Canal + Ciné + L’Aide aux Cinémas du Monde –Alpha touch
Avec Adel Karam, Rita Hayek, Kamel El Basha, Christine Choueiri, Camille Salameh, Diamand Abou Abboud
Avec Adel Karam, Rita Hayek, Kamel El Basha, Christine Choueiri, Camille Salameh, Diamand Abou Abboud
Sur Ciné + Club les 31 mars 2020 à 16 h 45, 1er avril 2020 à 10 h 30, 4 avril 2020 à 13 h 15
Cet article a été publié le 31 janvier 2018.
[Source : www.veroniquechemla.info]
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